Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/170

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pas nécessaire qu’il y ait un homme intéressé à l’exploitation perpétuelle de la mine ; il suffit que quelqu’un soit intéressé à s’assurer par son travail la propriété des veines métalliques. Or, tout entrepreneur assez riche et assez habile dans l’art d’exploiter des mines a cet intérêt ; et le plus grand avantage de l’État est d’exciter entre eux la plus grande concurrence, et de leur offrir toutes les facilités compatibles avec la justice due aux propriétaires. Il ne faut donc pas donner à ceux-ci un droit que la nature des choses et la justice n’exigent pas ; car ce serait imposer une charge de plus sur les entrepreneurs. C’est bien assez pour ceux-ci d’acheter le consentement des propriétaires dans les héritages desquels ils sont obligés de pratiquer des ouvertures, sans avoir à payer celui de tous les propriétaires sous le terrain desquels passent les filons.

Une pareille loi découragerait les entrepreneurs des mines, sans faire aucun bien au propriétaire de la superficie. Il faut, pour savoir précisément si les mineurs travaillent ou non sous un terrain, plusieurs opérations géométriques et géodésiques, tant sur la superficie de la terre que dans l’intérieur des galeries, dont il faut relever tous les détours. Les mineurs peuvent aisément ignorer sous quel héritage ils travaillent : quand ils le sauraient, on ne peut exiger qu’ils se dénoncent eux-mêmes. Le propriétaire de la superficie serait donc obligé, pour fonder son action, de faire constater lui-même la situation des galeries souterraines, la direction et la valeur des filons. Quand tout cela serait fait, que pourrait-il demander ? et d’après quel principe évaluerait-on ce que le mineur devrait payer ? Certainement, ce qu’on pourrait lui adjuger ne vaudrait pas le salaire des experts employés à lever les plans de la superficie et des souterrains. La loi qui lui aurait attribué la propriété des matières souterraines ne lui aurait donc donné que la faculté d’avoir un procès incommode pour l’entrepreneur des mines, dispendieux pour lui-même, et dont il ne pourrait espérer aucun avantage réel[1].

Quant aux éboulements, le mineur a le plus grand intérêt à s’en garantir. Mais s’ils arrivent, ou tel autre accident, il ne faut pas lui interdire le travail à cause de la possibilité rare de cet accident :

  1. Nous regrettons que M. Dunoyer, qui pense que les matières souterraines doivent appartenir au propriétaire de la surface, ait laissé sans réponse cette argumentation de Turgot. Elle devait avoir cependant quelque poids aux yeux d’un écrivain qui nous paraît, en matière de propriété et de liberté industrielle, professer les mêmes opinions économiques que l’illustre intendant de Limoges. (E. D.)