Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/22

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quelque ordre dans les distributions. Il ne faut pas cependant se dissimuler un inconvénient de ces états, si l’on voulait y comprendre sans exception toutes les personnes qui ont besoin de secours. Il est certain qu’il y en a parmi celles-ci qui n’ont que des besoins momentanés, occasionnés par des circonstances extraordinaires, et dont la misère n’est point connue. Des charités publiques les dégraderaient en quelque sorte au-dessous de l’état dont elles jouissent, et la plupart d’entre elles aimeraient mieux souffrir la plus affreuse misère, que d’être soulagées par cette voie. Ce genre de pauvres est très-commun dans les grandes villes. Leur juste délicatesse doit être ménagée, et il n’est pas possible de les comprendre dans les états des pauvres ; cependant, il est à désirer qu’on puisse aussi les soulager. Il ne paraît pas qu’il y ait d’autre moyen d’obvier à cette difficulté, que de destiner sur la masse totale des fonds du bureau un fonds particulier pour le soulagement des pauvres honteux, et d’en confier la distribution à MM. les curés, ou avec eux à un ou deux membres du bureau engagés au même secret qu’eux.

§ VIII. Il est quelquefois arrivé que, dans des temps difficiles où les métayers n’avaient point assez récolté pour leur subsistance, des propriétaires, pour se dispenser de les nourrir, les ont mis dehors, sans doute dans l’espérance que ces malheureux trouveraient des ressources dans les charités publiques. Si ces cultivateurs abandonnés par leurs maîtres étaient compris dans les états de ceux dont les bureaux de charité se chargeront, ce seul article absorberait une grande partie des fonds qui pourraient être consacrés à cet objet dans les campagnes. Rien ne serait plus injuste. Les cultivateurs doivent trouver des ressources dans les avances ou les dons de leurs maîtres, qui leur doivent ce secours moins encore à titre de charité qu’à titre de justice, et même à ne consulter que leur seul intérêt bien entendu. Ces métayers ne doivent donc point être mis dans l’état des pauvres, et c’est aux maîtres à pourvoir à leur subsistance.

Article III. — De la nature des soulagements que les bureaux de charité
doivent procurer aux pauvres.

Il ne faut pas que les bureaux de charité perdent de vue que les secours destinés à la pauvreté réelle ne doivent jamais être un encouragement à l’oisiveté. Les pauvres se divisent en deux classes, qui doivent être secourues de deux manières différentes. Il y en a que l’âge, le sexe, les maladies, mettent hors d’état de gagner leur