Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/228

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Enfin, l’obligation imposée par le même arrêt de 1661, à ceux qui font le commerce des grains pour Paris, de passer leurs factures par-devant notaires, de les représenter aux officiers des grains, de les faire enregistrer sur des registres publics, est une formalité contraire à tous les usages, à l’intérêt du commerce qui exige surtout de la bonne foi, le secret et la célérité des expéditions ; et cette loi n’a d’autre objet que d’occasionner des frais qui augmentent le prix des ventes.

C’est par de tels règlements qu’on s’est flatté autrefois, et presque jusqu’à nos jours, de pourvoir à la subsistance de notre bonne ville de Paris. Les négociants, qui par état sont les agents nécessaires de la circulation, qui portent infailliblement l’abondance partout où ils trouvent liberté, sûreté et débit, ont été traités comme des ennemis qu’il fallait vexer dans leur route, et charger de chaînes à leur arrivée : les blés qu’ils apportaient dans la ville ne devaient plus en sortir ; mais ils ne pouvaient ni les conserver, ni les garantir des injures de l’air et de la corruption ; on s’efforçait de précipiter les ventes ; on arrêtait les achats ; le marchand devait vendre ses grains en trois jours de marché ou en perdre la disposition ; l’acheteur ne pouvait s’en pourvoir que lentement et en petites parties ; la diminution des prix faisait la loi au négociant, leur augmentation ne pouvait lui profiter : les marchands de grains, effrayés par les rigueurs de la police, étaient encore dévoués à la haine publique ; le commerce opprimé, diffamé de toutes parts, fuyait la ville ; un arrondissement de vingt lieues de diamètre séparait entre elles, et de notredite ville, les provinces les plus abondantes ; et cependant toutes précautions étaient interdites dans l’intérieur et sur les abords ; on paraissait même conspirer contre les moissons futures, en exigeant que le laboureur quittât son travail pour suivre ses grains et les vendre par lui-même.

Cette police désastreuse a produit, dans les temps anciens, les effets qu’on devait en attendre : des chertés excessives et longues ont succédé rapidement à des années d’abondance ; elles se sont prolongées sans disette effective ; elles ont conseillé des remèdes violents et dangereux qui les ont perpétuées, parce que le commerce, anéanti par les règlements, ne pouvait donner aucun secours.

Tels sont les effets que notre ville de Paris a éprouvés, dans les années 1660, 1661, 1662, 1663 ; dans les années 1692, 1693, 1694 ;