Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/270

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sa terre ne reste point en friche, et qu’ainsi il laisse au cultivateur toute la charge que celui-ci peut absolument supporter sans tomber dans le désespoir et l’impuissance de travailler. Certainement les propriétaires ne gagnent pas à cet état des choses. Ils seraient plus riches si leurs cultivateurs vivaient dans l’aisance, mais ils ont du moins l’avantage qu’a la médiocrité sur la profonde misère. C’est un sixième avantage des propriétaires privilégiés sur les cultivateurs taillables. Il faut convenir que le désavantage pour ceux-ci est bien plus grand que ne l’est l’avantage pour les premiers.

7o Le fermier et le colon étant seuls sur le rôle, c’est contre eux seuls que peuvent être dirigées les poursuites ; ce sont eux par conséquent qui supportent tous les frais, toutes les suites des retards de payement, les saisies, les exécutions des huissiers, des collecteurs, enfin tout ce qu’entraîne de vexations et d’abus la perception d’un impôt très-fort, souvent mal réparti, et levé sur la portion du peuple que son ignorance et sa pauvreté privent le plus de tous les moyens de se défendre contre toute espèce de vexations. — C’est encore un septième avantage des privilégiés sur le peuple ; mais, comme le précédent, c’est bien plus encore un désavantage pour le peuple.

8o On peut aussi regarder comme un autre grand désavantage pour le fermier taillable, mais à la vérité sans aucun avantage pour le propriétaire, l’impossibilité où est ce fermier de faire exactement, avant de fixer les conditions de son bail, le calcul des charges qu’il sera dans le cas de supporter et dont parle M. le garde des sceaux. Il est notoire que les impositions taillables éprouvent souvent des variations, et beaucoup plus en augmentation qu’en diminution. — Dès qu’il y a guerre, on fait supporter aux taillables l’imposition connue sous le nom d’ustensile ou quartier d’hiver. — Pour rentrer dans notre sujet, la corvée n’est point du tout une charge réglée : tous les ans elle varie ; et quand on ouvre une route nouvelle dans un canton, l’on appelle souvent à la corvée des paroisses qui n’y ont jamais été. Ces accroissements de charges qui surviennent dans le cours des baux, et dont aucune loi n’autorise le fermier à se faire indemniser, dérangent entièrement les calculs qu’il aurait pu faire, et peuvent opérer sa ruine.

Je crois avoir démontré que les impositions taillables sont beaucoup plus à charge aux taillables qu’aux propriétaires non tailla-