Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/269

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rivé de à que tous les privilèges dont les terres des nobles sont avantagées entraînent un privilège proportionné sur la capitation, quoique, suivant son institution, ce dernier impôt doive être réparti sur tous les sujets du roi à raison de leurs facultés. — Cinquième avantage des nobles.

6o J’ai eu quelquefois occasion d’expliquer au roi la différence entre les provinces où les terres s’exploitent par des fermiers riches, qui font les avances de la culture et s’engagent par un bail à donner une somme fixe tous les ans à leurs propriétaires ; et d’autres provinces où, faute de fermiers riches, les propriétaires sont obligés de donner leurs terres à de pauvres paysans hors d’état de faire aucunes avances, à qui le propriétaire fournit les bestiaux, les outils aratoires, les semences, et de quoi se nourrir jusqu’à la première récolte : alors tous les fruits se partagent par moitié entre le propriétaire et le colon, qu’on appelle par cette raison métayer. Cet usage, qui a presque la force d’une loi, de partager les fruits par moitié, a été introduit dans un temps où la taille et les autres impôts n’étaient pas établis ; il est vraisemblable qu’alors il était avantageux aux deux parties ; que le propriétaire tirait de sa terre un profit suffisant, et que le colon pouvait vivre et entretenir sa famille avec une sorte d’aisance. Il est évident que, lorsque la taille et tous les impôts sont venus fondre sur la tête du malheureux métayer, toute égalité dans le partage a été rompue, et qu’il a dû être réduit à la plus grande misère. Sa ruine a été plus ou moins entière, suivant les différents degrés de la fécondité des terres ; suivant le plus ou moins de dépense qu’exige la culture ; suivant le plus ou moins de valeur des denrées.

Dans quelques provinces, et nommément en Limousin, la misère des cultivateurs est telle que, en dépit de la loi et des privilèges, il a fallu que les propriétaires, même privilégiés, pour trouver des colons, consentissent volontairement à payer une partie de l’impôt à la décharge de leurs colons, et corrigeassent ainsi l’excès de la dureté de la loi[1].

Mais il est à observer que cette condescendance des propriétaires étant libre, et la loi étant toute contre le colon, le propriétaire borne cette espèce de libéralité au point précis qui est nécessaire pour que

  1. Voyez, au tome I, page 541, le développement de ces idées, dans le Mémoire sur la grande et la petite culture.