Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/283

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nation, et à la partie la plus riche, le droit privilégié de ne point contribuer à la dépense de l’État. Cela n’est pas plus arrivé en France qu’ailleurs. Bien loin que, dans la constitution primitive de la monarchie, la noblesse fût exempte des charges publiques, elle était au contraire chargée seule et de rendre la justice et du service militaire. Cette double obligation était attachée à la possession des fiefs. Il est notoire que la noblesse était obligée à servir à ses dépens, sans recevoir aucune solde du prince. C’était sans doute une mauvaise institution avec laquelle l’État ne pouvait avoir aucune force réelle au dehors, ni le monarque un pouvoir suffisant au dedans : l’expérience fit connaître les vices de cette institution. À mesure que nos rois étendirent leur autorité, et pour l’affermir de plus en plus, ils s’occupèrent de former par degré une constitution meilleure. Ce ne fut que sous Charles VII, après l’expulsion des Anglais, qu’on tenta de lever une milice perpétuelle et soudoyée, pour trouver au besoin une troupe toujours prête, et pour assurer la tranquillité intérieure par une police un peu plus exacte. C’est à cette époque que la taille fut établie d’une manière permanente.

Mais la noblesse était encore chargée du service personnel ; elle avait encore dans ses mains la plus grande force militaire de l’État. La milice des francs-archers, qui en donnait une au roi en armant le peuple, tendait à diminuer le pouvoir de la noblesse. On craignait, sans doute, de l’avertir du coup qu’on lui portait, et d’exciter son mécontentement en lui faisant payer les dépenses de cette même milice par une imposition qu’elle aurait regardée comme formant un double emploi avec l’obligation de servir personnellement.

Il fut donc établi que la nouvelle imposition ne porterait pas sur la noblesse, et le principe de son privilège fut d’autant plus affermi que l’on avait donné à cette imposition le nom de taille, déjà depuis longtemps avili, parce que c’était le nom des contributions que les seigneurs levaient en certains cas sur leurs vassaux roturiers.

Cependant, quelques-unes des provinces méridionales, rendant hommage à l’exemption de la noblesse, eurent la sagesse de l’attacher non à la personne des nobles, mais aux biens possédés par les nobles à l’époque où la taille a été établie. Ce principe leur permit de faire porter l’imposition sur les fonds de terre à proportion de leur valeur, et d’éviter par là les suites ruineuses de la taille personnelle et arbitraire que le reste du royaume adopta. Dans ces