Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/284

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provinces, les nobles payent la taille quand ils possèdent les biens reconnus roturiers à la première époque de l’imposition ; les roturiers sont exempts pour les terres nobles dont ils sont en possession ; en sorte qu’il n’y a, par rapport à l’impôt, aucune distinction personnelle entre le noble et le roturier.

Ces provinces ont recueilli le fruit de leur sagesse, car c’est principalement à la forme de son imposition que le Languedoc doit la prospérité dont il jouit encore.

Depuis le premier établissement de la taille, les dépenses de l’État se multiplièrent, et malheureusement on prit l’habitude d’y subvenir par des augmentations qu’on mit successivement à la taille, sous le nom de crues et accessoires. Par là, l’exemption qu’avaient eue les nobles de la contribution à la dépense des francs-archers, s’étendit à des dépenses différentes. Elle leur devint plus précieuse, et plus à charge au peuple ; mais le préjugé s’affermissait.

Il eût été sage d’établir pour ces nouvelles dépenses des impositions générales sur tous les citoyens ; mais l’on n’y pensa pas, ou l’on n’osa pas attaquer les privilèges d’un corps puissant, ou l’on jugea que chaque augmentation qu’on établissait successivement formait un trop petit objet pour en valoir la peine : souvent on prit le parti d’éluder le privilège, en augmentant les impôts sur les denrées.

Le royaume fut longtemps agité par les guerres civiles, et l’autorité royale fut longtemps chancelante. Il était difficile que le ministère eût assez de force pour imposer la noblesse, quoique chaque jour en fît voir la nécessité. Ce n’est qu’après l’épuisement occasionné par la guerre qui précéda la paix de Riswick, et pendant les malheurs de la guerre de succession, qu’on établit d’abord la capitation, ensuite le dixième ; ce ne fut qu’avec ménagement et pour un temps. Le dixième a été successivement ôté et remis. Aujourd’hui ces deux impositions sont établies à demeure ; car, quoique le second vingtième ait un terme suivant les édits » il n’est personne qui pense qu’on ne le continuera pas à l’expiration du terme. Le premier est établi indéfiniment. C’est donc un fait que la prétention de la noblesse de n’être sujette à aucun impôt est actuellement vaincue, et c’est une grande victoire du roi et du peuple contre un privilège nuisible à l’un et à l’autre ; c’est un grand pas vers le rétablissement d’un meilleur ordre dans les finances. La noblesse