Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/285

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n’en est, quoi qu’on en dise, ni dégradée, ni humiliée ; elle n’en est ni moins belliqueuse ni moins soumise, et la constitution de la monarchie n’en est point affaiblie.

Tout démontre qu’il est également juste et nécessaire de ne plus adopter cette prétention de la noblesse.

Le privilège a été fondé originairement sur ce que la noblesse était seule chargée d’un service militaire qu’elle faisait en personne à ses dépens. D’un côté, ce service personnel, devenu plus incommode qu’utile, est entièrement tombé en désuétude ; de l’autre, toute la puissance militaire de l’État est fondée sur une armée nombreuse entretenue en tout temps et soudoyée par l’État. La noblesse qui sert dans cette armée est payée par l’État, et n’est pas moins payée que les roturiers qui remplissent les mêmes grades. Non-seulement les nobles n’ont aucune obligation de servir, mais ce sont au contraire les seuls roturiers qui y sont forcés, depuis l’établissement des milices, dont les nobles, et même leurs valets, sont exempts.

Il est donc avéré que le motif qui a fondé le privilège ne subsiste plus.

Aux dépenses immenses de l’entretien de l’armée se sont jointes celles des forteresses et de l’artillerie, l’établissement d’une marine puissante, les dépenses de la protection des colonies et du commerce, celles des améliorations intérieures de toute espèce, enfin un poids énorme de dettes, suite de guerres longues et malheureuses. Il n’y a jamais eu de motif pour exempter la noblesse de contribuer à ces dépenses.

Le privilège dont elle a joui peut être respecté à titre de possession, de prescription, de concession, si l’on veut ; mais il n’y a aucune raison pour l’étendre à toutes les impositions et à toutes les dépenses qui n’existaient point lors de l’établissement du privilège. Non-seulement cette extension serait sans fondement, mais elle serait injuste, mais elle serait impossible.

Quand une charge est très-légère, les inégalités dans sa répartition blessent toujours l’étroite justice, mais elles ne font pas d’ailleurs un grand mal. Si deux hommes ont ensemble un poids de deux livres à porter, l’un pourra sans inconvénients faire porter à l’autre les deux livres à lui tout seul.

Si le poids est de deux cents livres, celui qui le portera seul aura