Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/287

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On ne peut lui conserver ce caractère qu’en maintenant dans l’esprit de sa noblesse cet heureux préjugé qui la dévoue à la profession des armes, et par conséquent au service de l’État le plus important et toujours nécessaire. Ce n’est que par les distinctions que l’on peut entretenir dans le cœur des nobles cette ardeur salutaire qui produit des officiers et inspire aux roturiers mêmes le désir de s’ennoblir en portant les armes.

Réponse de Turgot. — Quand la noblesse payera la contribution pour les grands chemins comme elle paye le vingtième, elle n’en sera pas moins destinée à la profession des armes. Au reste, ce préjugé, devenu trop exclusif, n’est peut-être pas aussi heureux qu’il le paraît à M. le garde des sceaux. Il a d’abord l’effet infaillible d’avilir toute autre profession, et nommément celle de la magistrature, qu’il serait pourtant très-utile qui fut honorée. En second lieu, il a beaucoup surchargé le militaire d’officiers inutiles qui, en rendant la constitution des troupes françaises la plus dispendieuse de l’Europe, a contribué beaucoup à ruiner les finances et à énerver par contre-coup nos forces militaires. Je m’en rapporte volontiers sur ce point à M. de Saint-Germain.

Suite des observations du garde des sceaux. — Réduire la noblesse à la condition ordinaire des roturiers, c’est étouffer l’émulation et faire perdre à l’État une de ses principales forces.

Réponse de Turgot. — Personne n’a jamais parlé de réduire la noblesse à la condition ordinaire des roturiers ; ainsi, M. le garde des sceaux peut être tranquille à cet égard.

Suite des observations du garde des sceaux. — Que l’on réfléchisse sur le désintéressement avec lequel la noblesse française sert le roi, l’on conviendra qu’elle supporte une grande partie des frais de la guerre.

Réponse de Turgot. — Il serait bon de mettre à côté de cet article l’état de la dépense du militaire de France, qui est à peu près les cinq sixièmes de ce que coûtent ensemble les forces militaires de l’Autriche et de la Prusse. Il serait bon aussi d’y ajouter l’état des grâces de toute espèce accordées aux militaires.

Suite des observations du garde des sceaux. — En effet, les officiers en temps de paix ne peuvent pas vivre avec ce que le roi leur donne, et lorsque l’on est en guerre, ils font des efforts incompréhensibles pour subvenir aux dépenses des campagnes.

Réponse de Turgot. — Les roturiers, qui servent en très-grand nombre, font les mêmes efforts. Au surplus, ce que dit là M. le garde des sceaux est une des causes de la ruine de l’État. On paye trop