Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/388

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L’indemnité qu’on leur donne par une réimposition à leur profit sur les rôles de l’année suivante, réimposition qui rarement est perçue en moins de deux ou trois années, ne les indemnise point, et ne les indemniserait pas, quand même elle pourrait être complètement perçue dans le cours de cette année suivante ; premièrement, parce qu’en leur rendant leur déboursé, elle ne leur rend pas la perte qu’ils ont subie sur les ventes forcées auxquelles ils ont été contraints pour se procurer le moyen de faire ce déboursé ; secondement, parce qu’on ne peut leur rendre, ni à la nation, les productions qu’ils auraient fait naître si l’on n’eût pas dérangé leurs travaux, et dont ce dérangement a rendu l’existence impossible.

Ainsi, tous les ans il y a un certain nombre de cultivateurs les plus riches et les plus capables qui, sans qu’il y ait aucunement de leur faute, et uniquement à cause de la faute d’autrui, sont ruinés, et le sont au détriment de leurs concitoyens et de l’État, pour faire l’avance d’une portion d’imposition qu’ils ne doivent pas, et qu’il faut réimposer l’année d’après sur ceux qui la doivent.

Mais, s’il faut la réimposer au profit de ces plus haut taxés que l’on a contraints d’en faire l’avance, qui leur est ruineuse et à la culture, Votre Majesté ne trouve-t-elle pas plus raisonnable et plus juste de faire la réimposition au profit de son trésor ?

Il n’en coûtera qu’un retard d’un an dans la valeur de ces réimpositions, car la rentrée de celles de l’année précédente couvrira toujours le déficit de l’année courante. On n’aura pas le regret de punir ceux qui sont sans reproche pour le tort que les autres auront eu, et l’on aura évité de déranger aucune exploitation ; les bonnes exploitations faites par ces hommes les plus riches et les plus instruits, n’ayant éprouvé aucune secousse ni souffert aucune interruption, augmenteront progressivement d’année en année la richesse de ces entrepreneurs de culture, qui en font un si bon emploi, et celle des ouvriers qu’ils occupent, et celle de la nation, qui se partage les récoltes, et la facilité du recouvrement des impositions, et la richesse aussi de Votre Majesté, si naturellement et si nécessairement liée à celle de ses sujets.

Il est dans la bonté de votre cœur, sire, comme dans la justesse de votre esprit, de voir et de sentir que l’équité est une bonne ménagère.

De la main du roi approuvé[1].
  1. Nous regrettons de n’avoir pas un grand nombre de ces petits Mémoires, par