Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/463

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peut soutenir, et c’est cette portion de la famille qu’il faut chercher à occuper et à salarier.

Pour parvenir à procurer ces ressources et mettre tous les sujets indigents en état d’y participer, Sa Majesté destine des fonds ; ils seront confiés, dans différents quartiers de la ville, à six commerçants, qui les administreront par esprit de charité et sans aucun bénéfice ; les frais seuls leur seront payés ; ils achèteront et feront venir les matières, en livreront des portions aux ouvriers indigents de chaque paroisse, par avance et sans exiger le payement du prix, sur les certificats que donnera M. le curé de leur honnêteté. La distribution se fera par petites parties : une livre de filasse, quelques onces de fil à dentelles, ou de soie pour la gaze et les blondes, seront à peu près les mesures dans lesquelles on se fera une loi de se contenir. Cette précaution paraît nécessaire pour prévenir les abus, et diminuer les pertes : un ouvrier à qui on confierait une plus grande quantité de matière serait tenté de la vendre, et d’en détourner le prix à son profit.

La matière distribuée sera évaluée au prix coûtant ; on ne pourra jamais l’excéder. Quand elle sera fabriquée, le commerçant achètera l’ouvrage et payera sur-le-champ le prix, en déduisant seulement la valeur de la matière, et il donnera au pauvre la même quantité de matière pour le mettre en état de continuer son travail : ainsi, par des livraisons successives, l’ouvrier sera continuellement occupé.

L’évaluation de l’ouvrage sera faite par une femme qui sera attachée au bureau de chacun de ces commerçants, et afin d’exciter au travail et augmenter ce genre de secours, on recommandera de faire l’évaluation un peu au-dessus du prix ordinaire.

L’ouvrier qui aura rapporté son ouvrage au bureau pourrait se croire lésé par l’évaluation, s’il était obligé d’y acquiescer ; peut-être prétendra-l-il que sa main-d’œuvre est d’un plus grand prix que celui auquel elle aura été estimée. On a senti cet inconvénient : pour le prévenir, on propose de laisser à l’ouvrier la liberté de remporter son ouvrage et d’aller le vendre ailleurs ; néanmoins, en rapportant au bureau la valeur de la matière qui lui avait été avancée, on lui en livrera une autre quantité.

Les commerçants chargés de chaque bureau vendront les ouvrages qui leur auront été rapportés, et du prix qui en sera résulté ils achèteront de la nouvelle matière.