Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/462

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et les besoins ; la modicité des récoltes, la distance des lieux d’où doivent venir les grains, peuvent les élever au-dessus des faibles ressources que le travail procure à la classe la plus indigente des consommateurs. Une augmentation de travail est le moyen le plus naturel d’y remédier. En multipliant les salaires, elle multiplie les moyens de vivre ; et le peuple, secouru par ce gain extraordinaire, n’est pas moins en état d’acheter sa subsistance que dans les circonstances où, les denrées étant moins chères, il gagnait des salaires moins étendus.

Mais un nouveau travail ne peut être un secours efficace contre l’indigence, s’il n’est à la portée des différentes classes de sujets que le public n’est pas dans l’usage d’occuper. Des salaires présentés à ceux qui, employés chaque jour aux travaux ordinaires, sont sûrs d’un gain suivi et continuel, seraient rejetés, ou n’augmenteraient pas les moyens de subsister.

Deux sortes de personnes peuvent avoir principalement besoin de ce secours : les artisans auxquels la pauvreté ne laisse pas les moyens de se procurer la matière sur laquelle s’exerce leur industrie, et les femmes et les enfants. Ainsi on peut ranimer les fabriques oisives en donnant les avances nécessaires pour les mettre en activité, et établir dans le sein des familles de nouvelles fabriques en mettant les femmes et les enfants en état de travailler.

Les dentelles, les gazes, les blondes et tous les autres genres d’ouvrages de cette nature, que l’expérience de MM. les curés, et la connaissance qu’ils ont du caractère et des besoins du peuple, peuvent les mettre en état d’indiquer, sont les objets qui pourront le plus, s’ils sont encouragés et soutenus, faire vivre un grand nombre d’artisans désœuvrés.

La filature procurera aux enfants et aux femmes un travail qui ne surpasse point leur adresse ; et, quelque modique que soit le salaire attaché à cette main-d’œuvre, il n’en sera pas moins un vrai secours qui, répandu par parcelles multipliées, et ajouté aux rétributions que le père se procure par un travail plus lucratif, assurera la subsistance de toute la famille.

Lorsque la cherté élève la denrée au-dessus des facultés du peuple, ce n’est point pour lui-même que souffre l’homme de journée, l’ouvrier, le manœuvre ; ses salaires, s’il était dégagé de tout lien, suffiraient pour le nourrir : ce sont sa femme et ses enfants qu’il ne