Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/48

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Les conducteurs de travaux, choisis par les ingénieurs ou sous-ingénieurs, les subdélégués ou les commissaires ad hoc, qui sont la plupart des gentilshommes voisins, des curés ou des particuliers distingués par leurs lumières et leur zèle, que l’amour du bien public porte à surveiller les ateliers de charité et à concourir au bien qu’ils procurent, ces conducteurs marchandent avec le chef de famille le prix de la tâche dont il se charge. Ce marché peut bien être sujet à quelque erreur, comme le sont ceux des bourgeois qui marchandent avec des ouvriers pour ouvrir des fossés, ou faire d’autres travaux de ce genre ; mais une sorte d’expérience, quoique peu éclairée, qu’ont les gens de la campagne, n’y laisse pas de grandes inexactitudes ; et, d’ailleurs, dans le cas d’erreur trop grande ou de lésion, le recours au commissaire de l’atelier est toujours ouvert.

Dans les ouvrages qui consistent en déblais ou transports de terre, les tâches se règlent avec facilité par le nombre de hottées, de brouettées, civières ou camions. Il n’est pas même besoin alors d’associer plusieurs travailleurs, quoiqu’il soit toujours bon de répartir ces travaux par familles. Ceux qui transportent deviennent les piqueurs naturels de ceux qui piochent ; à chaque voyage, le manœuvre reçoit du préposé une marque de cuir destinée à cet objet, et selon la convention, on lui délivre pour un certain nombre de marques, ou de voyages, ce qu’on appelle dans le pays des marreaux. (Le mot français est méreau[1].)

Ces marreaux ou méreaux sont une espèce de monnaie de cuir, qui a été imaginée pour empêcher que le père ne dissipât au cabaret le salaire destiné à la subsistance de sa famille, comme cela arrivait trop souvent dans ce pays, lorsqu’on y payait en argent les ouvriers qui se présentaient aux ateliers de charité.

Il y a quatre sortes de marreaux. Celui qu’on nomme du no 4 est empreint de quatre fleurs de lis. Il vaut une espèce de pain, connu en Limousin sous le nom de tourte, et qui pèse vingt livres.

Le marreau du no 3, qui ne porte que trois fleurs de lis, ne vaut qu’une demi-tourte ou un pain de 10 livres.

  1. Le mot méreau, qu’on trouve encore dans nos dictionnaires, paraît avoir signifié, dans l’origine, une petite pièce de métal ou de carton qu’on distribuait aux chanoines pour justifier de leur assistance à l’office. Chacun sait aujourd’hui, par le budget, que nous avons encore des chanoines ; mais qui pourrait dire si les chanoines font toujours usage de méreaux ? (E. D.)