Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/531

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veulent jouir, et qui perdent bien plus encore sur la valeur des productions soumises à ces taxes, et recueillies sur le territoire dont ils sont propriétaires. Si des droits sur les cuirs, sur les boucheries, sur le commerce des bestiaux, enlèvent une partie du prix que devraient naturellement retirer les vendeurs de bœufs et de vaches, et par conséquent le profit qu’on trouve à élever ces animaux, et par conséquent le revenu des prairies, le dommage en retombe évidemment sur les nobles et sur les ecclésiastiques comme sur le reste des possesseurs de prés. Il retombe même presque en entier sur ces deux classes privilégiées, attendu qu’elles se sont réservé la plus grande partie des prés, comme le bien le plus facile à faire valoir, et que plus des quatre cinquièmes de ceux du royaume leur appartiennent. Si les vins sont pareillement soumis à des droits d’entrée dans les villes, à des droits de détail et à une inquisition sévère et dispendieuse chez les marchands qui les débitent, on ne s’informe pas pour cela sur quelle terre ils ont été recueillis, et ceux qui proviennent des terres épiscopales ou des duchés-pairies les acquittent comme ceux du dernier vigneron. Il en est de même des droits sur les étoffes fabriquées avec la laine des moutons du noble, du prêtre, ou du roturier. Il en est de même de toutes les autres impositions indirectes. Et c’est une chose si honteuse et si odieuse que de se targuer de sa dignité pour refuser secours et service à la patrie, comme si la plus grande dignité n’était pas à qui la servira le mieux, qu’il faut peut-être s’abstenir de blâmer ceux qui, n’osant lutter contre les prétentions orgueilleuses et avides de la noblesse et du clergé, ont imaginé de les éluder ainsi. Cependant, les taxes sur les dépenses et sur les consommations entraînent des formes si dures, occasionnent en pure perte tant de frais litigieux, gênent tellement le commerce, et restreignent si considérablement l’agriculture qui ne peut prospérer qu’en raison de la facilité qu’elle trouve à débiter avantageusement ses productions, qu’elles détruisent ou empêchent de naître infiniment plus de revenus qu’elles n’en produisent à Votre Majesté, ni même à ceux qu’elle charge de leur perception, soit à ferme, soit autrement. La noblesse et le clergé, dont la quote-part dans l’acquittement de ces taxes se trouve la plus grande, puisqu’ils ont la plus grande quantité des terres, la plus forte partie des récolte, la plus grande somme des revenus, la noblesse et le clergé payent aussi la plus grande part des faux frais de