Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/540

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Or, comme il y a toujours une proportion entre l’emploi des capitaux et les revenus, il semble qu’on pourrait, sans s’écarter beaucoup du vrai, supposer aux propriétaires des villes la rente ordinaire du capital auquel leur terrain serait évalué ; et par conséquent accorder aujourd’hui dans les villes la voix de citoyen au propriétaire d’un terrain valant 15,000 livres, ou environ 750 setiers de blé ; ce qui serait à peu près l’équivalent du propriétaire de 600 livres de rente, ou 30 setiers de blé de revenu, en biens de campagne[1].

Indépendamment de ce que cette évaluation paraît fondée sur l’impartiale égalité que Votre Majesté voudra qui soit observée entre ses sujets des villes et ceux des campagnes, il se trouve à cette manière de fixer les voix de citoyen dans les villes un avantage notable, c’est de prévenir le tumulte à craindre dans les assemblées trop nombreuses, même de propriétaires. Il y a très-peu de possesseurs de maisons dont le terrain, occupé par leurs édifices, vaille 15,000 francs ; on n’en trouverait pas cent à Paris. Il en résultera que Ja presque totalité des propriétaires urbains ne seront que des citoyens fractionnaires, et qu’il se trouvera même dans les villes de bien plus petites fractions de citoyen que dans les campagnes. Il y aurait donc beaucoup de petites assemblées de propriétaires de maisons citoyens fractionnaires, et qui pourraient être composées de vingt-cinq, ou trente, ou quarante propriétaires pour nommer entre eux le citoyen chargé de sa propre voix et de celles des autres fractionnaires qui la compléteraient. Chaque assemblée de paroisse ou de quartier n’appelant donc au plus qu’un citoyen sur vingt-cinq maisons, cette assemblée elle-même ne serait pas trop nombreuse ; elle se passerait sans tumulte ; on pourrait y parler raison. Et c’est déjà un point, en toute délibération où un grand nombre de personnes ont intérêt et droit, de se débarrasser du chaos de la multitude, sans porter atteinte ni à l’intérêt, ni aux droits d’aucun de ses membres.

  1. On sent que les mêmes circonstances qui ont changé les rapports de l’argent au blé, suivant une certaine proportion, et de l’argent aux autres jouissances, suivant une autre proportion, exigeraient aussi une évaluation pour le capital des terrains de ville différente de celle que l’on pouvait faire du temps de M. Turgot. Le besoin d’être bien logé est un de ceux qui se sont accrus ; la valeur des terrains de ville est une de celles qui ont le plus augmenté, et beaucoup plus que celle du blé : ainsi l’on peut croire qu’aujourd’hui ce serait 24,000 francs, ou la valeur de 800 setiers ou 960 quintaux métriques de blé qu’il faudrait avoir en terrain dans les villes pour jouir de la même richesse à laquelle M. Turgot y aurait attribué la voix de citoyen. (Note de Dupont de Nemours.)