Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/559

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nécessaire dans les paroisses, les élections, les provinces même, se trouveraient expédiées d’après des règles de justice inviolables et claires, par les gens qui en seraient les plus instruits, et qui, décidant de leur propre chose, n’auraient jamais à se plaindre de l’autorité. Le royaume d’ailleurs serait parfaitement connu.

On pourrait en peu d’années faire pour Votre Majesté un état de la France par provinces, élections et paroisses, où la description de chaque lieu serait accompagnée de sa carte topographique ; de sorte que, si l’on parlait devant vous d’un village, vous pourriez à l’instant, sire, voir sa position, connaître les chemins ou les autres travaux qu’on proposerait d’y faire, savoir quels sont les particuliers dont les propriétés y sont comprises, quelle est la forme et quels sont les revenus de leurs héritages.

Les assemblées et leurs députations perpétuelles offriraient l’occasion, et donneraient l’habitude, de la meilleure instruction que puisse recevoir la jeunesse déjà élevée. Elles l’accoutumeraient à s’occuper de choses sérieuses et utiles, en faisant tenir sans cesse devant elle des conversations sages sur les moyens d’observer l’équité entre les familles, et d’administrer avec intelligence et profit le territoire par les travaux les plus propres à l’améliorer. Cet objet général des conversations dans chaque lieu rendrait les hommes sensés, et diminuerait beaucoup les mauvaises mœurs.

L’éducation civique que ferait donner le Conseil de l’instruction dans toute l’étendue du royaume, les livres raisonnables qu’il ferait rédiger et qu’il obligerait tous les professeurs d’enseigner, contribueraient encore plus à former un peuple instruit et vertueux. Ils sèmeraient dans le cœur des enfants des principes d’humanité, de justice, de bienfaisance et d’amour pour l’État, qui, trouvant leur application à mesure qu’ils avanceraient en âge, s’accroîtraient sans cesse. Ils porteraient le patriotisme à ce haut degré d’enthousiasme dont les nations anciennes ont seules donné quelques exemples, et cet enthousiasme serait plus sage et plus solide, parce qu’il porterait sur un plus grand bonheur réel.

Enfin, au bout de quelques années, Votre Majesté aurait un peuple neuf, et le premier des peuples. Au lieu de la corruption, de la lâcheté, de l’intrigue et de l’avidité qu’elle a trouvées partout, elle trouverait partout la vertu, le désintéressement, l’honneur et le zèle. Il serait commun d’être homme de bien. Votre royaume, lié dans