Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/57

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sont dans l’habitude d’en recevoir ; — Que ces pauvres, au moment où la misère les a frappés, s’épuisaient par les plus durs travaux à mettre en valeur les biens de leurs maîtres, lesquels doivent à ces travaux tout ce qu’ils possèdent ; — Qu’à ces motifs d’humanité et de justice se joint, pour les propriétaires, la considération de leur véritable intérêt, puisque la mort ou la fuite des cultivateurs, l’abandon et l’anéantissement de leurs familles, suites infaillibles de la situation à laquelle ils seraient réduits, priveraient leurs maîtres des moyens de tirer de leurs terres un revenu qu’elles ne peuvent produire que par le travail ; — Que cet intérêt, dont la voix devrait être si puissante sur les particuliers, est en même temps de la plus grande importance pour le public et pour la province, qui, par la dispersion de la race des cultivateurs, souffrirait l’espèce de dépopulation la plus désastreuse et la plus terrible dans ses conséquences pour la province, qui, privée des seules ressources qui lui restent pour réparer ses malheurs par les travaux des années à venir, et perdant, faute de bras, l’avantage des saisons les plus favorables, serait longtemps dévouée à la stérilité, et verrait se perpétuer d’année en année les maux accablants sous lesquels elle gémit ; — Et nous ayant paru aussi juste qu’intéressant, pour le soutien de la culture et l’avantage de l’État, d’avoir égard auxdites représentations :

À ces causes, nous ordonnons que les propriétaires de domaines, de quelque qualité ou condition qu’ils soient, privilégiés ou non privilégiés, seront tenus de garder et nourrir jusqu’à la récolte prochaine les métayers et colons qu’ils avaient au 1er octobre dernier, ainsi que leurs familles, hommes, femmes et enfants. Ordonnons à ceux qui en auraient renvoyé de les reprendre dans la huitaine du jour de la publication de la présente ordonnance, ou d’autres en même nombre, à peine d’être contraints à fournir, ou en argent ou en nature, à la décharge des autres contribuables de la paroisse, la subsistance de quatre pauvres, par chacun de leurs métayers ou colons qu’ils auraient congédiés et non remplacés. Enjoignons aux syndics, collecteurs et principaux habitants de chaque paroisse de nous avertir, ou notre subdélégué le plus prochain, des contraventions qu’ils apprendraient avoir été faites à notre présente ordonnance, laquelle sera lue, publiée et affichée partout où besoin sera. Mandons à nos subdélégués d’y tenir la main. — Fait à Limoges le 28 février 1770.