Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/580

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En un mot, ne point être surpris par l’Angleterre, et ne pas être entraîné par les projets belliqueux que peut avoir l’Espagne, tel est le but auquel doivent tendre les résolutions du roi et de son Conseil. Quel doit en être le résultat ? Quelles mesures faut-il adopter ou proposer ? C’est ce qui me reste à examiner.

III. M. de Vergennes rejette d’abord avec grande raison l’idée de prévenir les Anglais en les attaquant nous-mêmes dans un moment où leurs forces sont occupées par une puissante diversion. La première raison qu’il en donne, et qui suffirait toute seule, est l’amour de préférence que le roi de France et le roi d’Espagne ont pour la conservation de la paix. Nous connaissons ce qu’inspirent au roi à cet égard son humanité et même sa générosité pour un ennemi qui ne s’en piquerait pas en pareille occasion. Quoique les mêmes sentiments soient dans le cœur du roi d’Espagne, il serait possible qu’ayant depuis longtemps ressenti vivement les procédés de la nation anglaise, il ne crût pas injuste de profiter d’un moment avantageux pour détruire l’espèce de tyrannie que la puissance anglaise affecte sur les autres nations, et que, s’il se refusait à une agression formelle, il ne fut pas aussi éloigné de saisir ces occasions de rupture qui ne manquent guère de se présenter entre deux grandes puissances, lorsqu’elles n’ont pas une envie décidée de se concilier. Mais, aux idées morales qui doivent faire écarter tout projet d’agression, on doit ajouter les raisons d’intérêt tirées de la situation des deux puissances peut-être, et au moins de la nôtre.

À l’égard de l’Espagne, il semble assez constant qu’elle a un nombre suffisant de vaisseaux pour tenir tête, avec un nombre à peu près égal des nôtres, à la marine britannique. Mais, en supposant que ces vaisseaux soient en meilleur état que ceux qui remplissent nos listes, j’ignore si l’Espagne a dans ses magasins tout ce qu’il faut pour les armer, et si elle peut rassembler au besoin un nombre de matelots proportionné ; j’ignore à quel point elle peut compter sur l’habileté et l’expérience des officiers auxquels elle en confierait le commandement. Ses finances ne sont point obérées ; mais j’ignore si elles pourraient suffire à des efforts extraordinaires continués pendant plusieurs années. M. de Vergennes est seul en état de nous donner des lumières sur ces doutes.

À notre égard, le roi connaît la situation de ses finances. Il sait que, malgré les économies et les améliorations déjà faites depuis le