Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/588

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doivent être faits avec le moins d’éclat possible, et il ne faut armer effectivement que quand il y aura une apparence fondée de danger. Il faut surtout éviter tout ce qui peut donner trop d’alarmes, avant que la plus grande partie de nos pêcheurs et de nos vaisseaux marchands soient rentrés dans nos ports.

À cette époque, si les circonstances deviennent inquiétantes ou menaçantes, il sera très-utile de faire marcher sur nos côtes opposées à celles de l’Angleterre, une partie de nos troupes, et de porter à différents points de réunion les munitions de guerre proportionnées aux forces qu’on aura assemblées. Cette démarche, dans laquelle nous n’avons aucun risque à courir, est une de celles qui peuvent le plus en imposer à l’Angleterre, surtout dans un moment où la plus grande partie de ses forces est dispersée au loin. Elle n’était pas dans la même position en 1770, et cependant trente-six bataillons seulement, que le feu roi fît marcher sur nos côtes au mois d’octobre de cette même année, jetèrent la terreur en Angleterre, et contribuèrent beaucoup au succès de la négociation.

L’on peut se rappeler encore qu’en 1756, les troupes qu’on avait répandues sur nos côtes tinrent en échec presque toute la marine britannique, dont les opérations brillantes n’ont commencé que lorsque nos troupes ont été occupées en Allemagne.

Le changement arrivé dans l’état politique de l’Amérique ne pouvant plus nous faire regarder la possession du Canada comme avantageuse, je ne vois que trois points où la puissance britannique puisse être attaquée. Ses possessions dans la presqu’île de l’Inde, les places du Port-Mahon et de Gibraltar sur les côtes d’Espagne, et enfin la Grande-Bretagne elle-même.

Les Indes sont certainement la partie dans laquelle on peut attaquer les Anglais avec la plus grande apparence de succès, et leur faire le plus de mal aux moindres frais. Leur compagnie, maîtresse absolue des plus riches provinces de l’Indoustan, tire chaque année de ses possessions des sommes immenses, qui, converties en marchandises, procurent à la métropole, par les droits de toute espèce auxquels ces marchandises sont assujetties, un revenu que les personnes les plus instruites de l’état de l’Angleterre évaluent aux deux cinquièmes de ses revenus annuels. Mais cette puissance est aussi précaire qu’effrayante. C’est un colosse dont les pieds sont d’argile ; elle est toute fondée sur la violence, le brigandage et la tyrannie.