Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/589

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On ne peut douter que les minutés et les vexations exercées par la nation anglaise dans l’Inde n’aient porté le désespoir dans l’âme des naturels du pays et de leurs souverains. Ils n’attendent, pour éclater, qu’une guerre européenne qui leur rende l’espérance d’être secourus. Des forces suffisantes et bien conduites ramèneraient contre les Anglais, dans cette partie du monde, la même révolution que nous y avons essuyée de leur part ; et cette révolution n’éprouverait pas les mêmes retours, si, plus sages que nous ne le fûmes lors de nos avantages, et que ne l’ont été après nous les Anglais, nous n’entreprenions pas de succéder à leur domination ; si, au lieu d’opprimer comme eux les habitants du pays, nous nous bornions à protéger leur liberté. — Un pareil échec, dans le commencement d’une guerre, pourrait mettre l’Angleterre dans l’impossibilité de la soutenir, par la suspension d’une partie considérable de ses revenus.

Mais j’observe sur cela deux choses : l’une, que pour faciliter cette entreprise il eût été à désirer que, de longue main, nos îles de France et de Bourbon fussent devenues des arsenaux où l’on eût pu préparer dans le secret des moyens propres à nous donner la supériorité dans l’Inde dès la première campagne. Il y a lieu de croire aussi que Pondichéry n’est pas dans l’état qu’il devrait être. Le ministre de la marine suivra sans doute un meilleur plan qu’on n’a fait avant lui ; mais l’effet de ses mesures exige nécessairement du temps.

J’observe en second lieu que, pour réussir dans un pareil projet, il serait essentiel que nous pussions primer les Anglais dans l’Inde, ce qu’il est difficile d’espérer ; car, dès qu’ils nous soupçonneront le moins du monde de quelque vue hostile, on ne peut douter qu’ils ne fassent passer des forces considérables dans l’Inde ; il n’y a que le plus grand épuisement, ou les grandes alarmes pour la métropole elle-même, qui puissent leur faire négliger un point d’une importance aussi majeure.

Quant à Minorque et à Gibraltar, je ne sais si l’importance de ces deux possessions est proportionnée au désir qu’aurait l’Espagne d’y rentrer, et à l’intérêt que mettra l’Angleterre à les conserver. L’on n’a pas vu dans la dernière guerre que la privation de Minorque ait diminué sa supériorité dans la Méditerranée. Quoi qu’il en soit, il paraît difficile de prendre Gibraltar autrement que par surprise ; et