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vous qui jugez la terre, vous, rois, apprenez que Dieu ne vous a confié l’image de la puissance que pour le bonheur de vos peuples. Apprenez à ne plus regarder votre autorité comme l’unique but du gouvernement, à ne plus immoler la fin aux moyens. »

Les princes ont enfin compris ces vérités. Ils eussent autrefois regardé comme criminels ceux qui auraient seulement osé les penser. Leur manifestation est devenue l’éloge des rois. Je le dis avec joie, parce que je vois en général les peuples plus heureux par cet esprit d’équité et de modération. Je le dis avec reconnaissance pour les princes capables d’en goûter les maximes ; enfin, grâce à la religion chrétienne, je le dis hardiment, et sans crainte d’irriter les bons rois, en publiant ce qui est gravé dans leur cœur. Âmes serviles, qui croyez flatter les rois en trahissant la cause de l’humanité, en leur persuadant qu’ils ne doivent considérer qu’eux, que les peuples ne sont faits que pour servir de base à leur grandeur et pour en porter le poids, vos honteuses adulations sont un outrage aux rois dignes de l’être.

Ce ne sera pas vous qui me désavouerez, grand prince, qui regardez le nom de Bien-aimé comme le plus cher de vos titres ; vous dont le cœur sait apprécier le trône par le pouvoir de faire des heureux : vous avez senti la douceur d’être aimé. Ces cris de joie de tout un peuple transporté, au moment où il apprit que des portes de la mort vous reveniez à la vie, ont pénétré dans votre cœur. Avouez-le, ce triomphe a été plus cher à votre sensibilité que le moment où, victorieux de trois nations réunies, vos armes en imposèrent à l’Europe ; on vous vit gémir sur une gloire qui coûtait tant de sang : vous soupirâtes dès lors après la paix, et vous l’avez faite enfin sans vous réserver d’autre avantage que celui d’avoir dicté le repos du monde : puissiez-vous en faire longtemps la félicité ! puissiez-vous protéger longtemps une religion qui doit être si chère à votre cœur, qui ne respire que ce que vous respirez, le plus grand bonheur des hommes.

Et vous, messieurs, qui dans ce cours d’exercices travaillez à vous rendre dignes de la défendre, vous la connaissez trop bien pour ne pas l’aimer. Plus que jamais des défenseurs instruits et zélés lui sont nécessaires. L’Église a sur vous les yeux ; elle vous regarde comme le fonds de ses plus brillantes espérances, et vous les remplirez un jour.


Second discours, sur les progrès successifs de l’esprit humain,
prononcé le 11 décembre 1750[1].

Les phénomènes de la nature, soumis à des lois constantes, sont renfermés dans un cercle de révolutions toujours les mêmes. Tout renaît, tout périt ; et dans ces générations successives, par lesquelles les végétaux et les animaux se reproduisent, le temps ne fait que ramener à chaque instant l’image de ce qu’il a fait disparaître.

La succession des hommes, au contraire, offre de siècle en siècle un spectacle toujours varié. La raison, les passions, la liberté, produisent sans cesse de nouveaux événements. Tous les âges sont enchaînés par une suite

  1. Il est vraisemblable que ce discours avait, comme le précédent, un exorde, particulièrement relatif à la circonstance et à la cérémonie pour lesquelles il était destiné ; mais on n’a pas retrouvé cet exorde. (Note de Dupont de Nemours.)

    — Voyez celle de la page 586.