Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/608

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de causes et d’effets qui lient l’état du monde à tous ceux qui l’ont précédé. Les signes multipliés du langage et de l’écriture, en donnant aux hommes le moyen de s’assurer la possession de leurs idées, et de les communiquer aux autres, ont formé de toutes les connaissances particulières un trésor commun, qu’une génération transmet à l’autre, ainsi qu’un héritage toujours augmenté des découvertes de chaque siècle ; et le genre humain, considéré depuis son origine, paraît aux yeux d’un philosophe un tout immense, qui lui-même a, comme chaque individu, son enfance et ses progrès.

On voit s’établir des sociétés, se former des nations qui tour à tour dominent d’autres nations ou leur obéissent. Les empires s’élèvent et tombent ; les lois, les formes du gouvernement se succèdent les unes aux autres ; les arts, les sciences se découvrent et se perfectionnent. Tour à tour retardés et accélérés dans leurs progrès, ils passent de climats en climats. L’intérêt, l’ambition, la vaine gloire changent perpétuellement la scène du monde, inondent la terre de sang ; et, au milieu de leurs ravages, les mœurs s’adoucissent, l’esprit humain s’éclaire, les nations isolées se rapprochent les unes des autres ; le commerce et la politique réunissent enfin toutes les parties du globe ; et la masse totale du genre humain, par des alternatives de calme et d’agitations, de biens et de maux, marche toujours, quoiqu’à pas lents, à une perfection plus grande.

Les bornes qui nous sont prescrites ne nous permettent pas de présenter à vos yeux un tableau si vaste. Nous essayerons seulement d’indiquer le fil des progrès de l’esprit humain ; et quelques réflexions sur la naissance, les accroissements, les révolutions des sciences et des arts, rapprochés de la suite des faits historiques, formeront tout le plan de ce discours.

Les livres saints, après nous avoir éclairés sur la création de l’univers, l’origine des hommes et la naissance des premiers arts, nous font bientôt voir le genre humain concentré de nouveau dans une seule famille par un déluge universel. À peine commençait-il à réparer ses pertes, que la division miraculeuse des langues força les hommes à se séparer. La nécessité de s’occuper des besoins pressants de la nourriture dans des déserts stériles et qui n’offraient que des bêtes sauvages, les obligea de s’écarter les uns des autres dans toutes les directions, et hâta leur diffusion dans tout l’univers. Bientôt les premières traditions furent oubliées. Les nations séparées par dévastes espaces, et plus encore par la diversité des langages, inconnues les unes aux autres, furent presque toutes plongées dans la même barbarie où nous voyons encore les Américains indigènes.

Mais les ressources de la nature et le germe fécond des sciences se trouvent partout où il y a des hommes. Les connaissances les plus sublimes ne sont et ne peuvent être que les premières idées sensibles développées ou combinées, de même que l’édifice dont la hauteur étonne le plus nos regards s’appuie nécessairement sur cette terre que nous foulons aux pieds ; et les mêmes sens, les mêmes organes, le spectacle du même univers, ont partout donné aux hommes les mêmes idées, comme les mêmes besoins et les mêmes penchants leur ont partout enseigné les mêmes arts.

Une clarté faible commence à percer la nuit étendue sur toutes les nations, et se répand de proche en proche. Les habitants de la Chaldée, plus voisins de la source des premières traditions, les Égyptiens, les Chinois, paraissent devancer le reste des peuples ; d’autres les suivent de loin ; les progrès amènent d’autres progrès. L’inégalité des nations augmente : ici les arts com-