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fertiles, et examinons si les mêmes moyens peuvent être mis en usage par l’industrie humaine.

Deux choses contribuent à la fertilité de la terre, la nature du sol et les arrosements. La nature du sol dépend de la combinaison des différents principes qui composent les terrains, sable, argile, craie, etc. ; principes dont le juste mélange peut seul féconder le développement des germes, et qui, séparés des autres principes, rendent souvent de vastes régions stériles et inhabitables.

Les arrosements dépendent de la situation du sol, de la disposition des montagnes, de la pente irrésistible qui, depuis leur sommet jusqu’aux rivières et à la mer, dirige le cours des eaux que l’atmosphère, dans laquelle le soleil les tient suspendues, décharge de temps en temps sur la terre, où elles se distribuent suivant cette inclinaison variée des terrains qui les reçoivent. Cette pente doit être assez douce pour qu’une partie des eaux puisse s’insinuer dans les interstices des terrains supérieurs, en amollir les glèbes, en délayer les sucs et y charroyer ceux dont elle s’est chargée dans l’atmosphère ; assez rapide en même temps pour qu’il parvienne assez d’eau pour abreuver à leur tour les terres inférieures ; et cependant assez inégale pour que l’eau trouve à chaque pas des enfoncements où, comme dans des réservoirs, elle se rassemble en plus grande quantité sous une plus petite surface ; afin que, d’autant moins exposée aux effets d’une évaporation trop prompte, elle se rende par mille détours dans d’autres réservoirs où, recueillie et conservée pour les besoins des animaux et des végétaux, elle forme des fontaines, des ruisseaux, et enfin des fleuves qui la reconduisent à la mer.

Par cette distribution, dont l’immense variété ne présente à nos sens que l’image du désordre, parce que l’ordre réel n’est jamais que dans l’ensemble, et qu’ici l’ensemble est trop vaste pour nos sens, la terre est rendue habitable et fertile. Je ne crois pas impossible aux hommes d’employer tantôt l’une, tantôt l’autre de ces deux voies, et toutes les deux même au besoin, pour donner à certains terrains une fertilité qu’ils n’ont pas et suppléer ainsi à la nature, ou plutôt la remplacer de la seule façon possible en l’imitant. Voyons d’abord ce qu’on peut faire pour corriger la nature du sol[1]………


PLAN DE DEUX DISCOURS
SUR L’HISTOIRE UNIVERSELLE[2].

Idée de l’introduction. — Placé par son créateur au milieu de l’éternité et de l’immensité, et n’en occupant qu’un point, l’homme a des relations nécessaires avec une multitude de choses et d’êtres, en même temps que ses idées sont concentrées dans l’indivisibilité de son esprit et de l’instant pré-

  1. Il y a lieu de croire que ce plan d’ouvrage n’a jamais été terminé. Les lecteurs qui auront été frappés de l’immense chaîne d’idées que ce cadre rassemble, de la multitude de connaissances qu’il suppose, des grandes vues qu’il présente, partageront à cet égard nos regrets. (Note de Dupont de Nemours.)
  2. M. Turgot rendait à Bossuet l’hommage que méritent la hauteur de ses pensées et le nerf de son expression. Il admirait la marche noble et rapide, l’abondance, l’éléva-