Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/637

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sent. — Il ne se connaît que par ses sensations, qui toutes se rapportent aux objets extérieurs, et le moment présent est un centre où aboutissent une foule d’idées enchaînées les unes avec les autres.

C’est de cet enchaînement et de l’ordre des lois que suivent toutes ces idées dans leurs variations continuelles, que l’homme acquiert le sentiment de la réalité. Par le rapport de toutes ses différentes sensations, il apprend l’existence des objets extérieurs. Un rapport semblable dans la succession de ses idées lui découvre le passé. Les rapports des êtres entre eux ne sont point des rapports oisifs. Tous peuvent agir les uns sur les autres suivant leurs différentes lois, et aussi suivant leurs distances. Ce monde réel dont nous ignorons les bornes, en a pour nous de fort étroites, et qui dépendent du plus ou du moins de perfection de nos sens. Nous connaissons un petit nombre d’anneaux de la chaîne, mais les extrémités dans le grand et le petit nous échappent également.

Les lois que suivent les corps forment la physique : toujours constantes, on les décrit, on ne les raconte pas. L’histoire des animaux, et surtout celle de l’homme, offrent un spectacle bien différent. — L’homme, comme les animaux, succède à d’autres hommes dont il tient l’existence, et il voit, comme eux, ses pareils répandus sur la surface du globe qu’il habite. Mais doué d’une raison plus étendue et d’une liberté plus active, ses rapports avec eux sont beaucoup plus nombreux et plus variés. Possesseur du trésor des signes qu’il a eu la faculté démultiplier presque à l’infini, il peut s’assurer la possession de toutes ses idées acquises, les communiquer aux autres hommes, les transmettre à ses successeurs comme un héritage qui s’augmente toujours. Une combinaison continuelle de ces progrès avec les passions et avec les événements qu’elles ont produits, forme l’histoire du genre humain, où chaque homme n’est plus qu’une partie d’un tout immense qui a, comme lui, son enfance et ses progrès.

Ainsi l’histoire, universelle embrasse la considération des progrès successifs du genre humain, et le détail des causes qui y ont contribué ; les premiers commencements des hommes ; la formation, le mélange des nations ;

    tion, l’harmonieuse dignité de son style. Mais, après avoir payé ce tribut à l’excellent écrivain, il regrettait que le Discours sur l’histoire universelle ne fût pas plus riche de vues, de raison, de véritables connaissances ; il le voyait avec peine au-dessous du beau cadre que l’auteur avait choisi, de l’intéressante position où se trouvait le précepteur d’un roi, du talent majestueux que nui autre orateur français n’a encore égalé.

    Cependant il n’entrait pas dans le caractère de M. Turgot de décrier un ouvrage célèbre et de ravaler un grand homme.

    Il préférait de recomposer ce livre, de lui donner l’étendue qu’il y aurait désirée, et d’y consigner les principes que l’illustre évêque de Meaux avait passés sous silence, n’avait peut-être pas conçus, n’aurait peut-être pas adoptés.

    Un tel ouvrage ne pouvait être fait d’un seul jet. M. Turgot avait donc jugé convenable, avant de l’entreprendre, d’en tracer le plan, sans se gêner par une simple et sèche table des chapitres qu’il voulait écrire et traiter, mais en dessinant du pinceau, comme font les grands artistes dans leurs esquisses savantes.

    C’est ce plan qui n’a pas été achevé, dont nous avons retrouvé les premiers linéaments, et que nous allons transcrire.

    L’ouvrage est incomplet, mais aucune de ces pages n’aurait pu être écrite par un homme qui ne l’aurait pas conçu tout entier, qui n’aurait pas considéré avec une attention profonde, et sous toutes leurs faces, la multitude d’objets qu’il devait embrasser. (Note de Dupont de Nemours.) — Voyez la note du même, page 511.