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qu’à force de temps et de travaux. Il nous crayonne légèrement les inventions des premiers arts, fruits des premiers besoins, et la suite des génération. », jusqu’à ce que le genre humain, presque entièrement englouti par un déluge universel, ait été de nouveau réduit à une seule famille, et par conséquent obligé de recommencer.

Ce livre ne s’oppose donc point à ce que nous recherchions comment les hommes ont pu se répandre sur la terre, et les sociétés politiques s’organiser. Il donne à ces intéressants événements un nouveau point de départ, semblable à celui qui aurait eu lieu, quand les faits qu’il nous raconte ne seraient pas devenus un objet de notre foi.

Sans provisions, au milieu des forêts, on ne put s’occuper que de la subsistance. Les fruits que la terre produit sans culture sont trop peu de chose ; il fallut recourir à la chasse des animaux qui, peu nombreux et ne pouvant dans un canton déterminé fournir à la nourriture de beaucoup d’hommes, ont par là même accéléré la dispersion des peuples et leur diffusion rapide.

Des familles ou de petites nations fort éloignées les unes des autres, parce qu’il faut à chacune un vaste espace pour se nourrir : voilà l’état des chasseurs. — Ils n’ont point de demeure fixe, et se transportent avec une extrême facilité d’un lieu à un autre. La difficulté des vivres, une querelle, la crainte d’un ennemi, suffisent pour séparer des familles de chasseurs du reste de leur nation.

Alors ils marchent sans but où la chasse les conduit. Et si une autre chasse les mène dans la même direction, ils continuent à s’éloigner. Cela fait que des peuples qui parlent la même langue se trouvent quelquefois à des distances de plus de six cents lieues, et environnés de peuples qui ne les entendent pas : ce qui est commun parmi les sauvages de l’Amérique, où l’on voit, par la même raison, des nations de quinze à vingt hommes.

Il n’est cependant pas rare que les guerres et les querelles, dont les peuples barbares né sont que trop ingénieux à se former des motifs, aient occasionné des mélanges qui d’un grand nombre de nations ont formé quelquefois une seule nation par une ressemblance générale de mœurs et de langages, divisés seulement en un grand nombre de dialectes.

La coutume des sauvages de l’Amérique d’adopter leurs prisonniers de guerre, à la place des hommes qu’ils perdent dans leurs expéditions, a dû rendre ces mélanges très-fréquents. On voit des langues régner dans de vastes étendues de pays, telles que celle des Hurons, aux environs du fleuve Saint-Laurent ; celle des Algonquins, en descendant vers le Mississipi ; celle des Mexicains, celle des Incas, celle des Topinamboux au Brésil, et des Guaranis au Paraguay. Les grandes chaînes de montagnes en sont communément les bornes.

Il est des animaux qui se laissent soumettre par les hommes, comme les bœufs, les moutons, les chevaux, et les hommes trouvent plus d’avantages à les rassembler en troupes, qu’à courir après des animaux errants.

La vie des pasteurs n’a pas tardé à s’introduire partout où ces animaux se rencontraient : les bœufs et les moutons en Europe, les chameaux, les chevreaux en Orient, les chevaux en Tartarie, les rennes dans le Nord.

La vie des peuples chasseurs s’est conservée dans les parties de l’Amérique où ces espèces manquent : au Pérou, où la nature a placé une espèce de moutons appelés Hamas, il s’est formé des pasteurs ; et c’est vraisem-