Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/640

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

blablement la raison qui fait que cette partie de l’Amérique a été policée plus aisément.

Les peuples pasteurs, ayant leur subsistance plus abondante et plus assurée, ont été plus nombreux, lis ont commencé à être plus riches et à connaître davantage l’esprit de propriété. L’ambition, ou plutôt l’avarice, qui est l’ambition des barbares, a pu leur inspirer le penchant à la rapine, en même temps que le vœu et le courage de la conservation. — Les troupeaux donnent pour les conduire un embarras que n’ont pas les chasseurs, et ils nourrissent plus d’hommes qu’il n’en faut pour les garder. Dès lors il a dû se trouver entre la promptitude des mouvements des hommes disponibles et celle des nations, une disproportion. Dès lors une nation ne put éviter le combat contre une troupe d’hommes déterminés, soit chasseurs, soit même membres d’autres nations pastorales, qui demeuraient maîtres des troupeaux s’ils étaient vainqueurs ; et qui quelquefois aussi étaient repoussés par la cavalerie des pasteurs, quand les troupeaux de ceux-ci se trouvaient être de chevaux ou de chameaux. Et comme les vaincus ne pouvaient fuir sans mourir de faim, ils suivirent le sort des bestiaux et devinrent esclaves des vainqueurs, qu’ils nourrirent en gardant leurs troupeaux. Les maîtres, débarrassés de tous soins, allaient de leur côté en soumettre d’autres de la même manière. Voilà de petites nations formées qui à leur tour en formèrent de grandes. Ces peuples se répandaient ainsi dans tout un continent jusqu’à ce qu’ils fussent arrêtés par des barrières relativement impénétrables.

Les incursions des peuples pasteurs laissent plus de traces que celles des chasseurs. Susceptibles, par l’oisiveté dont ils jouissent, d’un plus grand nombre de désirs, ils couraient où ils espéraient du butin, et s’en emparaient. Ils restaient là où ils trouvaient des pâturages, et se mêlaient avec les habitants du pays.

L’exemple des premiers encourageait les autres. Ces torrents grossissaient dans leur course, les peuples et les langues se mêlaient toujours.

Ces conquérants néanmoins se dissipaient bientôt. Quand il n’y avait plus rien à piller, leurs différentes hordes n’avaient plus d’intérêt à rester ensemble, et la multiplication des troupeaux les forçait d’ailleurs de se séparer. Chaque horde avait son chef. Seulement quelque chef principal, ou plus belliqueux, gardait quelque supériorité sur les autres dans l’étendue de sa nation, et en exigeait quelques présents en signe d’hommage.

Enfin de fausses idées de gloire s’y mêlèrent ; ce qu’on avait fait d’abord pour piller, on le fit pour dominer, pour élever sa nation au-dessus des autres, et, quand le commerce des peuples les eut instruits sur les qualités des pays étrangers, pour changer un pays ingrat contre un pays fertile.

Tout prince un peu ambitieux faisait des courses sur les terres de ses voisins, et s’étendait jusqu’à ce qu’il trouvât quelqu’un capable de lui résister ; alors on combattait ; le vainqueur augmentait sa puissance de celle du vaincu, et s’en servait pour de nouvelles conquêtes.

De là toutes ces inondations de barbares qui ont souvent ravagé la terre ; ces flux et reflux qui font toute leur histoire.

De là ces noms divers qu’ont portés successivement les peuples des mêmes pays, et dont la variété confond les recherches des savants. Le nom de la nation dominante devenait général pour toutes les autres, qui conservaient cependant leur nom particulier. Tels ont été les Mèdes, les Perses, les Celtes, les Teutons, les Cimbres, les Suèves, les Germains, les Allemands, les