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les parties de l’empire, les riches se rassemblèrent avec la multitude de leurs esclaves.

Les femmes esclaves appartinrent aux plaisirs du maître. On le voit dans les mœurs des anciens patriarches, car (et c’est encore un point de jurisprudence antique) le crime d’adultère n’était point réciproque comme parmi nous. Le mari seul se croyait outragé ; c’est une suite de la grande inégalité entre les deux sexes qu’amène la barbarie. Les femmes n’ont jamais eu de droits dans le mariage chez les anciens peuples. Ce n’est que la pauvreté qui a empêché la polygamie de s’établir partout.

Quand dans la suite les mœurs et les lois d’une nation furent fixées, le mélange des familles rendit aux femmes des droits dont elles n’avaient pas joui lors des premiers temps, parce qu’elles employèrent, dans les républiques surtout, le pouvoir de leurs frères contre la tyrannie de leurs maris.

Dans ces républiques, où tout le monde était égal, les parents d’une fille n’auraient point consenti à se priver pour jamais de sa vue. La polygamie et la clôture des femmes n’ont jamais pu s’y établir. — Mais, dans les premiers empires dont nous parlons, peuplés d’une multitude d’esclaves, lorsque les femmes n’avaient aucuns droits, et que les maris en avaient sur leurs esclaves, la pluralité des femmes devint un usage aussi général que le permirent les bornes des fortunes particulières. La jalousie est une suite nécessaire de l’amour : elle inspire sagement aux époux un esprit de propriété mutuelle qui assure le sort des enfants. Cette dernière passion, et plus encore le préjugé de déshonneur qu’on avait attaché à l’infidélité des femmes, s’accrurent avec la polygamie.

L’impossibilité de soumettre les femmes à cette loi de la fidélité, quand ni le cœur ni leurs sens ne pouvaient être satisfaits, fit imaginer de les faire renfermer. Les princes, et ensuite ceux qui furent assez riches, se firent des sérails.

La jalousie fit mutiler des hommes pour garder les femmes. De là, dans les mœurs, une mollesse qui ne les adoucit pas, et qui les rendit au contraire plus cruelles.

Les princes étant renfermés avec leurs femmes et leurs esclaves, leurs sujets, qu’ils ne voyaient jamais, furent à peine des hommes pour eux. Leur politique fut toujours la politique des barbares. Elle fut simple, parce qu’ils étaient ignorants et paresseux ; et cruelle, parce qu’il faut moins de temps pour couper un arbre que pour en cueillir les fruits, et parce que l’art de rendre les hommes heureux est de tous les arts le plus difficile, celui qui renferme le plus d’éléments à combiner.

Cette même mollesse se répandit dans tout l’État. De là cet affaiblissement subit des monarchies de l’Orient. Celles des Chaldéens, des Assyriens, des Mèdes et des Perses, ne survécurent guère aux premiers conquérants qui les avaient fondées. Il semble qu’elles n’aient subsisté quelque temps qu’en attendant un ennemi pour les détruire. Si quelquefois ces monarchies ont écrasé par le nombre de leurs soldats des nations faibles, elles ont échoué devant toute résistance courageuse, et dès que la Grèce a été réunie, elle a renversé presque sans effort ce colosse immense.

Il n’y a qu’une ressource contre cet abâtardissement général d’une nation, une milice entretenue dans une discipline guerrière, telle que les janissaires turcs ou les mameloucks d’Égypte ; mais cette milice devient souvent terrible à ses maîtres.