Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/699

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clarer capables ou incapables de recevoir tous les sacrements ? Faut-il moins de dispositions pour la communion que pour le mariage ? Si le prince peut obliger à donner le sacrement de l’eucharistie, pourquoi n’oblige-t-il pas à donner le sacrement dont il a voulu faire dépendre l’état de ses sujets ? Le mariage n’a-t-il pas plus de rapport au civil que la communion ? Pourquoi donc laisser aux ecclésiastiques tant de liberté sur l’on, et vouloir la leur ôter sur l’autre ? Pourquoi gêner les protestants et favoriser les jansénistes ?

Le Conseil a sans doute fait ces réflexions, et il n’y a pas d’apparence que la fin de toutes les affaires présentes soit le projet bizarre de persécuter en même temps les calvinistes et le clergé.

Mais si le Conseil a fait ces réflexions, monsieur, il faut qu’une grande partie du public ne les ait pas faites : rien n’est si commun que d’entendre dire aux mêmes gens, et à des gens qui devraient être instruits, qu’il ne faut gêner personne, et en même temps qu’on doit traiter les protestants de rebelles. « Pourquoi, dit-on, tourmenter les consciences ? » Et tout de suite on ajoute : Ne serait-il pas mieux de tourner tout son zèle à la destruction du calvinisme ? »

Cette contradiction ne viendrait-elle pas de deux idées bien vraies, qu’on ne distinguerait point assez ? Je veux dire la nécessité de ne point contraindre les consciences dans l’ordre civil, et la nécessité de n’admettre qu’une religion dans l’ordre spirituel.

Vous savez qu’il y a deux sortes de tolérances : la tolérance civile, par laquelle le prince permet, dans ses États, à chacun de penser ce qu’il lui plaît, et la tolérance ecclésiastique, par laquelle l’Église accorderait la même liberté dans la religion. Ne confondrait-on pas aujourd’hui ces deux choses ? Ne serait-on pas tantôt trop contraire aux protestants, parce qu’on veut exclure la tolérance ecclésiastique, et tantôt trop favorable aux jansénistes, parce qu’on sent l’équité de la tolérance civile ?

J’ai imaginé, monsieur, que c’était là la seule source des divisions actuelles ; j’ai cru même qu’en éclaircissant ces idées, et en distinguant avec soin ces deux espèces de tolérances, il serait aisé de voir quel parti la cour doit prendre vis-à-vis des protestants et vis-à-vis du clergé. J’ai fait plus, j’ai succombé à la tentation de mettre par écrit des réflexions que nous avons faites plusieurs fois ensemble ; je vous les envoie, vous jugerez si je leur ai donné toute la précision et toute la clarté nécessaires.

Voici, monsieur, quels sont mes principes. Il ne peut y avoir qu’une religion vraie. La révélation admise, toute religion qui s’écarte de la révélation est une imposture ; Dieu ne peut avoir qu’un langage.

Il n’y a donc qu’une seule voie de salut, parce que, hors de la véritable religion, il n’y a aucun salut à espérer. Peut-on se promettre les récompenses du Seigneur, quand on n’est pas docile à sa voix ?

Il est convenu entre nous que la religion chrétienne est cette seule religion vraie à laquelle il faut être soumis pour être sauvé ; le nombre et l’éclat de ses miracles, la sainteté de sa doctrine, la foi de ses martyrs : tout nous annonce qu’elle nous a été donnée par celui qui commande aux éléments.

Comme il ne peut y avoir qu’une seule religion vraie, aussi dans cette religion ne peut-il y avoir qu’une seule foi, un seul culte, une seule morale. L’Église est la société des fidèles qui, soumis aux mêmes pasteurs, unis par la même croyance, participent aux mêmes sacrements. Il n’y a donc rien de si absurde que d’admettre dans l’Église cette liberté de conscience, cette to-