Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/700

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lérance ecclésiastique, qui tantôt augmente et tantôt diminue le nombre des articles de foi, qui outre ou pervertit la morale, qui dans une seule religion en introduit plusieurs, et qui rassemble toutes les erreurs où il ne doit y avoir qu’une vérité ! Monstre inventé par Jurieu, dont l’esprit a su, par une contradiction bizarre, réunir cette licence d’opinions avec le fanatisme le plus aveugle et l’intolérance la plus cruelle.

Puisqu’il n’y a qu’une voie de salut, tous les hommes doivent la suivre, et empêcher les autres de s’en écarter. Ce que la prudence nous prescrit, la charité nous en fait un devoir pour nos frères, et nous ne devons rien épargner pour convertir les cœurs au Seigneur.

La conversion d’une âme dépendant de l’intime persuasion des vérités qu’on veut lui faire goûter, le véritable, le seul moyen de convertir est de persuader. Pour rendre quelqu’un bon chrétien, il ne suffit pas de lui faire dire je crois, si la conscience n’avoue ce que la langue prononce ; ce serait rendre coupable d’un parjure celui qu’on voudrait retirer de l’erreur ; on n’est converti qu’autant qu’on est convaincu.

Outre ce moyen de convertir, l’Église doit en avoir un particulier qui soit propre en même temps à punir et à corriger. La société des fidèles ne devant admettre qu’une seule croyance, elle doit pouvoir retrancher de son sein ceux qui enseignent une doctrine contraire à la sienne.

L’excommunication, l’anathème, sont donc des peines que l’Église a droit d’infliger, pour punir les rebelles, et se conserver sans tache. Toute religion, toute société peut exclure ceux qui ne pensent pas comme elle ; sans cela elle ne se conserverait pas cette unité précieuse qui lui est nécessaire pour subsister.

Mais ce que peut faire la société des fidèles, chaque fidèle ne le peut pas. Il n’appartient à personne de dire anathème à son frère ; on n’a que la voie de la persuasion, qu’il ne faut jamais négliger, pour y suppléer par celle de l’aigreur et des menaces.

L’Église elle-même ne peut avoir pour punir que la voie de l’excommunication ; toute punition corporelle lui est interdite, parce que le royaume de Jésus-Christ n’est pas de ce monde. La religion conseille aux chrétiens les austérités de la pénitence ; mais ses ministres ne sont pas en droit de les y contraindre par la force : il n’y a que l’apôtre encore charnel, qui ait pu désirer que le feu du ciel descendît sur les Samaritains qui ne voulaient pas recevoir le fils de Dieu[1]. Jésus-Christ est venu pour sauver les âmes et non les perdre. Les tourments rendent malheureux dans ce monde, mais ils ne rendent pas heureux dans l’autre[2]. Pour qu’une religion subsiste dans un État, il n’est pas nécessaire qu’elle soit la religion du prince. On sait les progrès étonnants que le christianisme a faits sous les empereurs païens ; on sait ceux qu’il fait tous les jours par le zèle de nos missionnaires ; les sujets peuvent être fidèles, et le prince n’être pas encore éclairé.

Quoiqu’une religion ne soit pas la religion du prince, elle ne s’en gouverne pas moins d’une manière fixe et invariable ; elle n’en a pas moins ses lois,

  1. « Vis dicamus ut ignis descendat de cœlo et consumat illos… Et conversus Jesus increpavit illos dicens : Nescitis cujus spiritus estis ; Filius hominis non venit animas perdere, sed salvare. » Luc. ix.
  2. L’officialité, telle qu’elle est actuellement, est donc un tribunal où les évêques n’ont pas assez du pouvoir qui leur appartient, et ont trop de celui qui ne leur appartient pas. (Note de l’auteur.)