Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/701

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa croyance, sa coutume, et son culte. L’Église sous les Néron fixait ses articles de foi, comme sous les Constantin ; elle excluait également de son sein ceux qui déchiraient ses entrailles.

Quand un prince embrasse une religion, il n’a pas droit d’y rien changer ; il devient disciple et non réformateur. La profession de foi n’ajoute rien à la puissance. Auguste était aussi maître que Constantin, Trajan que Théodose.

S’il s’élève quelque dispute dans la religion, le roi n’a donc aucun droit à sa décision. Avant qu’il l’eût embrassée, cette dispute eût été terminée par les lois de cette religion : ces mêmes lois doivent subsister ; elles ne peuvent dépendre de la croyance incertaine du prince, elles deviennent respectables pour lui, mais il n’en est pas l’arbitre.

Un prince qui devient chrétien est donc un fidèle de plus qui se soumet à la vérité ; mais, dans l’ordre de la religion, ce n’est qu’un simple fidèle ; c’est un enfant que l’Église reçoit, ce n’est pas un maître qu’elle se donne.

Un prince chrétien ne peut donc pas plus qu’un simple fidèle dire anathème à ses frères : à la vérité, placé dans un rang où les exhortations sont plus puissantes, les conseils plus efficaces, les exemples plus imposants, il doit chercher à ramener par tous ces moyens ceux qui se sont écartés de la vérité ; mais loin de lui les voies de contrainte et d’autorité ! Dans la religion, le prince a plus d’obligations qu’un particulier ; il n’a pas plus d’empire.

Mais si le prince n’a pas le droit de dire anathème à ses frères, il n’a pas non plus celui de les punir lorsqu’ils ne pensent pas comme lui. On ne peut punir que lorsqu’on peut commander. Si Jésus-Christ reprend l’apôtre intolérant, que dirait-il au prince persécuteur ? C’est se méfier du Dieu qu’on sert que d’employer pour établir son culte les armes fragiles de l’autorité humaine. La religion, établie malgré les persécutions, aurait-elle besoin du bras du prince pour se soutenir ? C’est être chrétien que de désirer que tout le monde le devienne ; c’est être tyran que d’y contraindre le dernier des sujets.

Quoique ces principes me paraissent démontrés, monsieur, je sens qu’ils ne le paraîtront pas à tout le monde. Mais, avant de les justifier plus amplement, je me hâte d’en tirer les conséquences relatives aux affaires présentes, persuadé qu’un des meilleurs moyens de faire goûter un sentiment, est d’en montrer l’utilité.

Le prince a quatre sortes de personnes à contenter : les protestants, les jansénistes, les évêques et le Parlement. Il paraît difficile de les satisfaire tous. Chaque parti a ses préjugés ; mais ce ne sont pas les préjugés qu’il faut consulter ; la faveur même ne doit avoir aucune part dans cette occasion. La justice seule doit décider ; que le prince ne fasse exactement que ce qu’il a droit de faire, chaque parti se plaindra d’abord de ce qu’il n’aura pas fait davantage en sa faveur ; mais bientôt après chaque parti le bénira d’avoir su rendre à chacun ce qui lui est dû.

Or, voici ce que le roi est en droit de faire.

Il doit dire aux protestants : « Je gémis et je dois gémir de vous voir séparés de l’unité ; la persuasion où je suis que la vérité ne se trouve que dans le sein de l’Église catholique et la tendresse que j’ai pour vous, ne me permettent pas de voir votre sort sans douleur. Mais quoique vous soyez dans l’erreur, je ne vous en traiterai pas moins comme mes enfants. Soyez soumis aux lois ; continuez d’être utiles à l’État dont vous êtes membres, et vous trouverez en moi la même protection que mes autres sujets. Mon apostolat est de vous rendre tous heureux. »