Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/720

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et peuvent être aussi utiles dans l’étude de la philosophie, que d’autres méthodes qui bâtissent souvent des systèmes sur des mots dont on n’a jamais approfondi le sens.

I. Je n’ai que deux remarques à faire sur ce premier article :

1o On parle beaucoup de l’influence des langues, et personne n’en a donné les principes ni fourni des exemples : c’est là ce qui serait le plus utile.

Les noms donnés à une chose ont été étendus à ce qui paraissait en approcher : de là l’origine des divisions par classes ; de là une foule d’abus en théologie, en morale, en métaphysique, en histoire naturelle, en belles-lettres, etc. Les pauvres humains ont donné les noms in globo : rarement ils ont peint les nuances, et tout objet particulier en est formé, est différencié par elles.

2o Il serait fort curieux d’examiner par quelle mécanique l’esprit humain bâtit des systèmes sur des mots purement mots : comment on trouve ingénieuse une pensée fausse, etc. — J’y reviendrai peut-être, mais je n’ai pas le temps ni la volonté de m’en occuper à présent.

II. On voit assez que je ne veux pas parler ici de cette étude des langues dont tout l’objet est de savoir que ce qu’on appelle pain en France, s’appelle bread à Londres. Plusieurs langues ne paraissent être que des traductions les unes des autres ; les expressions des idées y sont coupées de la même manière, et dès lors la comparaison de ces langues entre elles ne peut rien nous apprendre ; mais on trouve des langues, surtout chez les peuples fort éloignés, qui semblent avoir été formées sur des plans d’idées si différents des nôtres, qu’on ne peut presque pas traduire dans nos langues ce qui a été une fois exprimé dans celles-là. Ce serait de la comparaison de ces langues avec les autres, qu’un esprit philosophique pourrait tirer beaucoup d’utilité.

II. 1o Il n’est aucune étude de langue qui se réduise à aussi peu de chose. Il y a toujours au moins des conjugaisons et une syntaxe à étudier ; et après cette étude, on sent malgré soi quel est le génie d’une langue.

2o Il est bien vrai que plusieurs langues semblent n’être que des traductions ; mais on n’y sent pas moins je ne sais quoi de différent dont il est très-bon de se rendre compte : bien plus, la même langue ne se ressemble pas dans les auteurs différents ; Corneille et La Fontaine parlent-ils la même langue ? Ainsi l’anglais et le français doivent bien moins se ressembler.

3o Les plans d’idées différents sont de l’invention de Maupertuis. Tous les peuples ont les mêmes sens, et sur les sens se forment les idées ; aussi, nous voyons les fables même de tous les peuples se ressembler beaucoup.

4o La difficulté de traduire n’est pas si grande que l’imagine Maupertuis, et elle ne vient pas d’un plan d’idées différent, mais des métaphores qui à la longue s’adoucissent dans une langue policée. Deux langues imparfaites se ressemblent ainsi que deux parfaites. Il me vient une comparaison sensible : une langue imparfaite dira : « Ta conduite est pleine de sauts de chèvre », et nous dirions : « pleine de caprices. » C’est la même chose, et l’un vient de l’autre ; mais l’idée accessoire, comme trop grossière, s’en est allée.

5o Il est bien vrai pourtant que l’étude des langues sauvages serait très-utile.

    ses écrits les plus remarquables. — M. Turgot y trouvait plus d’apparence de profondeur que de justesse réelle. Il les a combattues dans l’intervalle qui s’est écoulé entre ses Discours en Sorbonne.

    On a cru devoir mettre en regard le travail de ces deux grands métaphysiciens, Les Remarques de Turgot sont imprimées en plus gros caractère.

    (Note de Dupont de Nemours.)