Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/79

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différents, les seigneurs et les gentilshommes ne possèdent presque point de terres à eux ; les héritages, qui sont extrêmement divisés, sont chargés de très-grosses rentes en grains, dont tous les co-tenanciers sont tenus solidairement. Ces rentes absorbent souvent le plus clair du produit des terres, et le revenu des seigneurs en est presque uniquement composé. Cette observation vous fera sentir, Monseigneur, la justesse des réflexions de M. le procureur-général sur le malheureux sort des censitaires dans l’état de disette où est la province.

Le remède qu’il propose d’y appliquer, et que le parlement a adopté par son arrêt, me paraît tout à la fois le plus simple et le plus juste dans la circonstance : il consiste à ordonner que les rentes ne pourront être exigées que sur le prix moyen des marchés les plus voisins de l’échéance des rentes ou prestations. La disposition qui a pour objet d’annuler tous les actes, commandements et saisies, même les contrats et obligations portant promesse de paver les redevances sur un pied plus haut que celui fixé par l’arrêt, est une suite de la première, et nécessaire pour ôter les moyens d’éluder celle-ci.

Peut-être le parlement aurait-il pu mettre à son arrêt une modification en laveur des seigneurs relativement aux rentes assises sur les moulins. Il est certain que les meuniers, dont le salaire se paye en nature sur le pied du seizième des grains qu’ils réduisent en farine, ont prodigieusement gagné à la cherté des grains, et qu’ils ne seraient donc aucunement lésés en payant à leur seigneur, sur le pied de la valeur actuelle, le grain qu’ils ont eux-mêmes perçu sur le pied de cette valeur. Si vous vous déterminez à faire rendre une déclaration uniquement relative à la circonstance actuelle, et pour les seules provinces qui ont souffert de la disette, vous ferez vraisemblablement usage de cette observation.

Mais je vous avoue, Monseigneur, qu’il me paraîtrait utile d’aller plus loin, et de donner une loi dont les dispositions, s’étendant à tout le royaume et à tous les temps, prévinssent dans tous les cas l’inconvénient auquel le parlement de Bordeaux a voulu pourvoir dans le cas particulier. Rien ne me paraît plus simple et plus juste que d’établir en loi générale la règle que les redevances en denrées ne puissent être exigées sur un pied plus haut que la valeur de ces denrées à l’époque où les rentes sont échues. Cette règle est déjà établie dans plusieurs provinces en vertu d’usages locaux confirmés par