Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/80

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des arrêts particuliers ; elle serait partout avantageuse aux censitaires, dont le sort serait fixe, sans être préjudiciable aux seigneurs, dont la recette serait toujours réglée par le prix commun des grains, les bonnes années compensant toujours les mauvaises dans le cours ordinaire des choses. — Je ne pense donc pas que ce règlement pût souffrir aucune difficulté fondée.

Je pense même qu’en se renfermant dans cette disposition unique, la loi nouvelle ne serait pas assez favorable aux censitaires, et ne préviendrait point assez sûrement dans tous les cas l’excessive aggravation de leur fardeau par le manque de récoltes. En effet, il est très-possible que l’époque où les rentes échoient soit précisément celle de l’année où les grains sont le plus chers, et alors le redevable perdrait à la fixation. Par exemple, l’échéance des rentes en Limousin tombe communément au mois d’août. Cette année, il est avantageux aux censitaires de payer suivant la valeur des grains à cette époque ; quoique la récolte ait été très-modique, la disette ne s’étant déclarée qu’après la perte totale des récoltes de la Saint-Michel, qui forment le plus grand fonds de la subsistance du peuple dans les années ordinaires. Mais, dans d’autres provinces, où la récolte des froments et des seigles est presque la seule, ainsi que dans les années où c’est cette récolte qui manque totalement, comme dans la calamiteuse année 1709, le moment même de la récolte est celui où l’on aperçoit le vide des subsistances, où l’alarme se répand, où les grains se resserrent, et où leur prix s’élève tout à coup à un taux exorbitant ; il est évident qu’alors la fixation du payement des redevances sur le pied du prix courant lors de l’échéance deviendrait très-défavorable aux censitaires, qui resteraient soumis à l’augmentation ruineuse dont il paraît juste de les garantir.

Il y a, ce me semble, un moyen de prévenir pour toujours cet inconvénient, sans que les seigneurs puissent se plaindre. Il suffirait d’ordonner que, lorsque le prix des grains serait monté plus haut que la moitié en sus du prix moyen des dix dernières années, la rente ne pourrait être exigée qu’en argent, et ne pourrait l’être sur un pied plus fort que le prix moyen en y ajoutant la moitié en sus. Ainsi, en supposant que le prix moyen du froment soit de 20 livres le setier de Paris, lorsqu’il montera à plus de 30 livres à l’époque de l’échéance, le censitaire ne pourra être tenu de payer qu’en argent et sur le pied de 30 livres le setier. Je crois que personne ne