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lettres à l’abbé morellet.

Je ne vous promets pas beaucoup de bonne fortune, si vous écrivez sur la hauteur la plus avantageuse des roues pour le tirage ; mais peut-être trouverez-vous quelque satisfaction à travailler pour la facilité du transport des marchandises, et même pour le soulagement des chevaux. Au reste, il y a sûrement quelque chose dans les Mémoires de l’Académie sur cette question. Peut-être aussi cet Kuler, à qui rien n’échappe, en aura traité dans sa Mécanique, ou ailleurs.

J’ai reçu des nouvelles par lesquelles on me marque que mon retour n’est pas pressé : je resterai donc ici tout le mois. Ce n’est pas pour mon plaisir, ni même pour mon intérêt, car j’aimerais bien mieux aller vous rejoindre, mes amis. Je trouve qu’il y a plus de substance dans ce vers de La Fontaine,

Qu’un ami véritable est une douce chose !

que dans tout le livre de l’Esprit. — J’espère que cela m’obtiendra de vous mon pardon de tout le mal que j’ai dit du héros dont j’ai osé attaquer la gloire. Vous savez bien que c’est vouloir obscurcir le soleil en jetant de la poussière en l’air.


Lettre V. — À l’abbé Morellet. (Limoges, 25 juillet 1769.)

J’ai lu, mon cher abbé, votre ouvrage pendant mon voyage[1], au moyen de quoi j’ai été détourné de la tentation de faire des vers, soit métriques, soit rimes, et j’ai beaucoup mieux employé mon temps. Ce mémoire doit attérer le parti des directeurs ; la démonstration y est portée au plus haut degré d’évidence. J’imagine cependant qu’ils vous répondront, et qu’ils tâchèrent de s’accrocher à quelque branche où ils croiront trouver prise ; mais je les défie d’entamer le tronc de vos démonstrations. J’en suis en général fort content, quoique j’y trouve quelques petits articles à critiquer, quelques défauts de développements, quelques phrases obscures ; mais tout cela est une suite de la célérité forcée qu’il a fallu donner à la composition et à l’impression, et comme je suis fort loin d’être sans péché, je ne vous jette point de pierres, etc.[2]


Lettre VI. — Au même. (Limoges, 3 octobre 1769.)

J’ai reçu, mon cher abbé, votre réponse à M. Necker[3]. Je vous en fais mon compliment de tout mon cœur ; elle m’a fait le plus grand plaisir ; elle est aussi modérée qu’elle peut l’être, en démontrant, aussi clairement que vous le faites, les torts de votre adversaire. Je suis persuadé qu’elle fera retenir le public, et que M. Necker n’aura joui que d’un triomphe passager. C’est lui qui, à présent, aura du mérite à ne pas se brouiller avec vous, etc.


  1. Le premier Mémoire que, sur l’invitation du contrôleur-général d’Invau, l’abbé Morellet publia, en 1769, contre le privilège de la Compagnie des Indes. (E. D.)
  2. L’abbé Morellet, des Mémoires duquel nous tirons ces fragments de lettres, ajoute après celui-ci : « Il (Turgot) combat ensuite une assertion que j’avais faite, que le commerce rendu libre, le prix des marchandises indiennes, aux Indes même, n’augmenterait pas pour les acheteurs : c’est une discussion trop abstraite pour que je l’insère ici, et je ne crois pas encore avoir eu tort sur ce point. » (E. D.)
  3. Necker avait pris ta défense de la Compagnie des Indes, et il s’agit ici de la réplique de l’abbé Morellet. (E. D.)