Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/832

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la plénitude de l’image, et j’avoue que ce vers est un de ceux de tout l’ouvrage dont je me suis le plus applaudi. Les astres tout court, quand ils feraient le vers, me paraîtraient moins bien, en ce que cette expression déciderait moins l’imagination à se représenter une belle nuit où tout le ciel brille uniformément. Je trouve bien un défaut dans le mot tous, et ce défaut est que le soleil est aussi un astre ; mais je crois le mot suffisamment expliqué par la chose, et qu’il faut passer par-dessus cette petite inexactitude. Pour la traduction de Voltaire, je n’en suis point content ; j’en trouve le coloris bien faible en comparaison du latin. Le changement de temps sans aucun ménagement ( les astres roulaient, Éole a suspendu, tout se tait), me paraît un défaut intolérable, et qui, par parenthèse, gâte bien souvent les descriptions de Saint-Lambert et de l’abbé Delille. Et puis, qu’est-ce que Phenisse ? Ce n’a jamais été le nom de Didon, et ce mot ne peut se traduire que par la Phénicienne.

Pour les vers senaires, en français comme en latin, ils sont à peine distingués de la simple prose ; aussi sont-ils affectés à la comédie, à la fable et aux sentences morales. Je conçois bien que ce n’est pas par là que l’on accoutumera les oreilles françaises à la versification métrique: aussi n’ai-je voulu faire qu’un essai.

Vous avez de l’analyse la même idée que moi, mais il était bon de s’expliquer, à cause de l’équivoque de ce mot, auquel les géomètres ont attaché une idée si différente. Vous augmentez encore mon impatience de voir l’ouvrage du P. Venini. Si cependant vous craignez de l’exposer à la poste même, en le faisant contresigner chez M. Trudaine, il faudra bien attendre une occasion. Vous pourrez m’envoyer ce livre avec tous les autres, et mes Discours, et tous les détails que vous m’avez ci-devant annoncés sur la tracasserie de Parme. M. Desmarets partira peut-être vers Pâques, mais M. de Mirabeau partira vraisemblablement encore avant lui, et vous pourrez porter chez M. Dupont[1] tout ce que vous aurez à m’envoyer, afin qu’il prie M. de Mirabeau de s’en charger. Il faudra que le paquet soit tout fait et tout cacheté, car je craindrais qu’il ne s’en égarât quelque volume sur la table de M. Dupont, qui n’est pas mieux rangée que la mienne. M. Dupont demeure toujours rue du Faubourg-Saint-Jacques, vis-à-vis les filles Sainte-Marie.

Si M. d’Aiguillon est ministre, il est sûr que M. de Boisgelin sera condamné, eût-il évidemment raison ; mais j’avoue que j’ai peine à croire qu’il y ait rien de solide dans ce nouveau ministère. Si le Parlement revient, il me paraît difficile que son retour ne soit pas accompagné d’une espèce de révolution, et son pouvoir sera plus affermi que jamais. J’avoue que l’aventure de M. de Maillebois me paraît le prélude d’une anarchie plus décidée, qu’elle ne l’a encore été même sous le gouvernement de Mme de Pompadour. Je ne sais encore si je vous renverrai une lettre pour Voltaire.

Adieu, mon cher Caillard : vous savez combien vous devez compter sur mon amitié.

Croyez-vous que je fisse bien de donner au P. Venini la Formation des richesses !. Dupont a un morceau de moi sur l’usure, que je voudrais bien qu’il me renvoyât. Je ne sais s’il était fini, quand vous partîtes l’année dernière.


  1. Dupont de Nemours.