Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, II.djvu/838

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des Mémoires de Pétersbourg que vous m’annoncez. Si vous les envoyez par mer, il faut souhaiter qu’ils ne deviennent point la proie de quelque armateur anglais. Il est vrai que la lenteur des deux cours à se décider, ou plutôt leur répugnance à faire les premières hostilités, pourra laisser au vaisseau le temps d’arriver. Désormais il ne faudra plus vous occuper de cet objet : les libraires de Paris font venir la suite de ces Mémoires à mesure qu’ils paraissent. J’ai fait remettre chez M. de Vérac les 121 liv. 10 sous que vous avez déboursés.

Nous avons raisonné ensemble, et avec M. Desmarets, sur l’impression du Voyage d’Islande. Les libraires, aujourd’hui, ont tant d’humeur de la petite modification qu’on a mise à la prétendue propriété de leurs privilèges, qu’ils sont devenus dix fois plus difficiles sur l’acquisition des manuscrits ; d’ailleurs celui dont il s’agit n’est pas dans un genre piquant dont ils prévoient un prompt débit : quant au parti de faire les frais de l’impression, il est assez risquable ; il faudrait au moins vendre 400 exemplaires pour retirer les frais, et il est difficile de compter sur un tel débit, quand on n’a pas les ressources que les libraires trouvent dans leurs échanges entre eux pour se défaire des livres peu courus. Or, il serait imprudent de risquer de perdre. Nous avons donc pensé qu’il fallait, pour éviter ce danger, renoncer à tout profit, et chercher un libraire qui se charge de tous les frais, et de vendre à son profit en vous donnant seulement un certain nombre d’exemplaires. Si vous adoptez cette idée, M. Desmarets agira en conséquence ; il suivra aussi tous les détails de l’édition avec le zèle qu’il a pour la matière et la reconnaissance qu’il doit au soin que vous avez de multiplier les preuves de son système. Je lui ai communiqué les passages de Niebuhr que vous avez transcrits ; il ignorait que l’Arabie fût remplie de prismes. Les îles de la mer du Sud, Otahiti, la Nouvelle-Zélande, que Cook a visitées, sont aussi des pays volcanisés remplis de basalte.

Je voudrais fort que vous eussiez le temps de mettre par écrit vos idées sur la Métaphysique de la musique et sur son union avec la poésie. J’en ai moi-même, sur cet objet, de fort différentes de celles que je vois régner dans les écrits des disputants : ceux-ci me paraissent raisonner sur des notions bien vagues et bien peu analysées ; mais mon ignorance en musique me rend mes propres idées suspectes, et je suis fort curieux de savoir si elles seront confirmées par celles des gens qui, sachant la musique, ont plus droit que moi d’avoir un avis. Les affaires que vous avez à traiter doivent vous laisser assez de loisir pour que vous puissiez satisfaire ma curiosité.

Quant à Didon, il est absolument impossible de la publier avant que le traité de la prosodie soit fait, et même alors je ne voudrais pas trop paraître aux yeux du public sous cette espèce de travestissement. Je lui dois d’autres choses, et j’ai grande envie de payer cette dette.

Ce que je pourrai faire, ce sera de faire imprimer en secret quelques exemplaires pour n’avoir pas la peine d’en faire faire des copies.

Je connais le remède pour la goutte, appelé le remède caraïbe. Mais j’ai pensé que l’usage du gayac, sans eau-de-vie, pourrait avoir les mêmes avantages, avec moins d’inconvénients. Je prends, en conséquence, tous les matins une tasse d’infusion théiforme de bois de gayac râpé, et par-dessus un demi-setier de petit-lait. Ce remède est fort agréable, il m’occasionne une légère moiteur aux-pieds, que je crois fort saine.

Vous savez par les papiers publics les honneurs qu’a reçus Voltaire à la représentation d’Irène. Il n’y a point de souverain qui ne fût flatté d’en avoir