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fille qui ne s’était jamais mariée, avait voué sa vie à ces deux enfants orphelins dont à l’âge de dix-sept ans, elle restait l’unique protectrice.

Quand le siècle dix-huitième commença, René avait huit ans et Michel sept. Très intelligents, robustes, aguerris, leur enfance avait vu les horreurs de la révolution. Michel s’était marié tout jeune avec sa cousine Marie Houdebert. Il habitait avec elle le vieux logis des Houdebert place Saint-Maurice. Ils avaient eu une fille unique, Zoé. Puis Michel avait été victime de l’épidémie de choléra.

René, attiré par son amour de la patrie, était entré à l’Ecole de Fontainebleau et parti avec Napoléon... à travers le monde. Il ne s’était jamais marié. Il revenait avec une joie, faite de tendresse, à chaque congé dans sa vie agitée, près de sa tante Nicole, gardienne du foyer, consolatrice du soldat errant auquel elle donnait la douceur d’une âme pure, noble, éclairée d’un dévouement sans limites.

Le brillant officier qui avait connu tant de luttes, tant de pays, de vie étrange, panachée d’incroyables aventures, retrouvait sa simplicité naïve, son besoin d’expansion et de caresses, près de cette délicieuse vieille parente qui, avec ses pauvres et ses œuvres, l’aimait de toute la force de sa foi. Ils avaient aussi une vive affection pour Mme Semtel, veuve de M. Michel Semtel et pour sa fille Zoé, mariée très jeune à M Frédéric Lamotte, adjoint au maire d’Angers, riche et considéré comme « bourgeois de la ville ».

Ce ménage n’avait jamais eu d’enfants. Mme Lamotte menait la vie mondaine et agréable qu’on avait en province sous la Restauration et sous Louis-Philippe.

Une fois, en revenant d’Afrique, René trouva sa tante Nicole bien fatiguée, elle éprouvait la lassitude de vivre et se réjouissait de partir au ciel où elle n’aurait plus d’inquiétudes pour son cher neveu qu’elle savait sans cesse devant l’ennemi. Réellement, elle n’avait jamais été tranquille, son cœur s’était usé à battre trop fort quand les feuilles politiques racontaient les campagnes... ce terrible temps où les Gouvernants de la France envoyaient leurs sujets gagner des batailles pour leur gloire.

Elle avait supplié son enfant chéri de rester avec elle, de garder pour elle son reste de vie. il avait vraiment gagné assez de décorations, de victoires et de blessures. A présent, il comptait plus d’un demi-siècle. Il pouvait bien rester dans la vieille maison de famille, s’occuper des terres que la paix lui avait rendues, se sentir exister pour lui, pour les siens.

René n’avait même pas songé à se marier, à tenir sa place dans cette société angevine si spécialement aimable, gaie, vive et spirituelle, dont il était.