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Alors, le soldat avait cédé. 1848 bouleversait la France. Paris renvoyait son roi, rappelait Marianne : « Mourir pour la Patrie... » chantaient les élèves de l’Ecole Polytechnique, pendant que le peuple élevait des barricades dans les rues.

Puis, encore une fois, le vent emportait les fleurs de lys. L’Aigle impérial essayait de déplier ses ailes.

René, jeta au fond d’un coffre ses vêtements militaires, non sans un soupir, le couvercle lourd en retombant, enfermait avec eux sa jeunesse.


II

TANTE NICOLE

Tante Nicole s’était assise dans son fauteuil voltaire placé contre la fenêtre de la salle qui donnait sur la cour d’entrée plantée d’arbres fruitiers en plein vent et de massifs de fleurs. La salle était jadis la pièce principale de la maison, le lieu de réunion, très vaste, avec au plafond de grosses poutres apparentes, ses murs lambrissés de chêne, ses dressoirs, sa grande table hospitalière où il y avait place pour vingt-quatre couverts, sa cheminée aux landiers de fer, à corbeille, ses chaises à dossier sculpté, gardait l'aspect moyenâgeux.

Mais dans les embrasures des deux croisées, il y avait des petits salons intimes aménagés pour l’isolement d’une causerie. Tante Nicole y avait sa table à ouvrage, son secrétaire. sa lampe carcel, des chaises basses couvertes en tapisserie brodée par elle. Des coussins, une étagère contenant ses livres de piété. Elle se plaisait là, n’allant dans le salon de compagnie, qui communiquait avec la salle par une large porte vitrée, que lorsqu’elle recevait sa famille et ses amis.

Donc, en cette matinée de juin où le soleil dorait les cerises dans le gros cerisier planté au milieu de la cour, elle attendait son cher René, rentré la veille au soir pour toujours.

Avec quel repos d’âme elle se disait :

— Enfin, il ne repartira plus, il a conquis sa retraite. Je vais l’avoir avec moi pour mes dernières années, le bouquet final de mon existence.

Elle l’entendait descendre lestement l’escalier d’ardoises bleues et il entrait souriant pour s’agenouiller devant elle, mettre ses bras autour de son cou ainsi que, dans son enfance, il le faisait si gentiment.

— Bonjour tante Nic, tu es rose, tes yeux noirs illuminent ton visage, tu es jolie comme le bonheur et je t’aime tante Nic, mieux que tout le monde.