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sources restées à la maison fondaient vite malgré l’économie. Les deux jeunes filles cultivaient de leur mieux le jardin pour avoir des légumes que Marius, amoureux de la servante, venait bêcher à ses moments de liberté. Il était employé par les hommes du jour, avait prêté serment à la République, criait comme les autres, mais il rendait mille services aux pauvres créatures dénuées de protecteur. Il leur évitait les visites domiciliaires et avait procuré à Nicole une place à la Mairie, aux écritures comme secrétaire de l’officier municipal qui avait tout juste signer son nom.

Le sage enfant simple, mais très digne, avait le don de se faire respecter dans ce milieu dénué d’éducation où son travail l’obligeait à rester. Elle y gagnait de quoi subvenir au pain quotidien. Elle en était si contente qu’elle n’avait pas l’idée de se plaindre et écrivait sans relâche des « arrêtés » pour les communes, des lettres de convocation officielles aux autorités du rayon. Elle faisait la correspondance que lui dictait, dans un français assez fantaisiste, son « patron », le citoyen Maigrelet.

Puis, la bourrasque révolutionnaire passée, la vie s’améliora. Napoléon nommé Empereur en 1804 admit à l’hcole militaire de Fontainebleau, les jeunes gens que la carrière des armes attirait. René fut de ce nombre. Instruit par sa tante, il fut reçu à l’âge de quatorze ans, partit à seize ans, et dès lors mena la vie des camps. Il aimait l’activité, il était robuste, la gloire le tentait. Il connut l’Allemagne, la Russie, il vit brûler Moscou.

Sous Louis XVIII, il fit la guerre d’Espagne et sous Louis-Philippe, il prit part à la conquête de l’Algérie. En 1848 aide de camp du général de Rumigny, il accompagna le roi à Trouville d’où il revint dans ses foyers après avoir vu le départ de la famille royale pour Claremont. Il rentrait le coeur rempli de tristesse. Il avait été témoin de la fuite de trois Souverains de France : Napoléon premier, Charles X, Louis-Philippe. Les Révolutions, les Conquêtes, les Défaites, l’expérience de la vie humaine si précaire à renversement de situations, de fortune, d’idées, lui laissait une âme croyante et forte, dénuée d’ambition, capable de juger de très haut l’inutile lutte à la recherche de la gloire et du bonheur.

Il rêvait maintenant de la vie paisible, entourée d’affection, attiré par les arts de la Paix. Le règne de Napoléon III le trouvait indifférent à toute politique. Un jeu de balançoire, ces trônes successifs ! A présent, il n’avait d’autre horizon que la ville natale, ses occupations champêtres, son pinceau et son crayon qu’il maniait habilement. Et surtout le récon-