Page:Va toujours.djvu/17

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il parlait avec une visible loyauté, les yeux pleins de larmes.

— Cette après-midi, nous irons ensemble voir votre sœur au couvent.

Charles Chat joignit les mains :

— Vous garderez le secret de ma faute, Monsieur, puisque c’est la première et la dernière.

— Oui, à moins d’une récidive.

Pascal Joubert arrivait pour sa journée de travail et Denise en même temps apportait au vagabond une grande écuellée de soupe fumante qu’elle posait sur le coffre à l’avoine.

— Pascal, dit René en répondant au salut du jardinier, ce matin, tu bêcheras les pommes de terre, tu vas mener avant, ce pauvre homme à l’établissement de bains du grand pont. Tu lui feras couper la barbe et les cheveux. Ensuite, tu monteras en ville avec lui. Tu entreras au Palais des Marchands, et tu le feras vêtir des pieds à la tête en costumée de travail. Tu feras mettre la dépense à mon compte et tu ramèneras cet homme ici. C’est compris, mon garçon.

— Oui monsieur, c’est une fameuse charité... il n’a pas l’air cossu. D’où sort-il ?

— Ne t’en inquiète pas, fais ce que je te dis simplement.

René sortit. Le chemineau avala sa soupe et alla reporter son écjelle à la cuisine où Denise lavait la vaisselle.

— Merci, on est bien ici.

— Pour sûr, mon pauv’e malheureux, paraît que vous n’avez pas rempli votre ventre tous les jours.

— Viens vite, Vagabond, interrompit Pascal, j’ai mon carré à bêcher ce matin. En route.

Pascal marchait à grands pas, sans parler, la commission ne lui plaisait guère, mais le Maître avait commandé, il exécutait la consigne.

Quand Charles Chat, deux heures plus tard, sortit de la boutique, il était transformé. Une glace placée derrière la caisse lui avait renvoyé son image au moment où il allait quitter le magasin, il s’arrêta une seconde et de grosses larmes, malgré lui, jaillirent de ses yeux.

— Allons, vieux, ne pleure pas, fit Pascal, dont l’agacement se muait en émotion, te v’là comme un prince, c’est-y l’empereur qu’est ton père ! Ouste, joue des pattes, on est loin de chez le patron. Faut dévaler la rue Baudrière, le pont du Centre, le petit pont, la rue de la Cencerie. Tu connais la ville ?

— Un peu. Mais je connais votre Maître, c’est tout pour moi !

— Sûr que tu peux lui dire merci, il y en a pour des écus dans ta toilette. T’es plus le même.