Page:Va toujours.djvu/7

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— J’ai plus de forces, il y a deux jours que je vis des feuilles des bois comme une bête.

René le prit sous le bras, ils arrivèrent ainsi au boulevard de Laval. Le coin du chemin du silence était occupé à cette époque par un marchand de bois dont la femme tenait une petite boutique sur laquelle on pouvait lire : « Burgevin loge à pied, sert à boire et à manger. » M. Semteî connaissait la marchande, il passait devant chez elle bien souvent :

— Bonsoir, mère Burgevin, dit-il, voulez-vous servir à cet homme une assiettée de soupe si vous en avez.

— Bonsoir Monsieur Semtel. Sûr que j’en ai de la bonne soupe au lard et autre chose encore si vous voulez.

Elle souleva le couvercle d’une vaste soupière brune qui était au bord du foyer entourée de cendres chaudes. Elle y plongea une louche d’étain et la retira pleine de pain mêlé de choux qu’elle versa dans une écuelle de terre. Le mélange sentait bon, les yeux de l’affamé brillaient, il tendit des mains avides.

La femme sourit :

— Assieds-toi sur le banc, mon gars, devant la table, voici une cuillère. Mange doucement si tu as grand faim.

La recommandation était superflue, le misérable avait la gorge contractée, les premières bouchées passèrent difficilement, puis ce fut l’engloutissement jusqu’à la dernière goutte de bouillon. Alors il regarda son bienfaiteur, ses yeux étaient humides :

— Veux-tu une beurrée à présent ? dit la mère Burgevin, il y a longtemps que tu jeûnes, on dirait.

— Donnez-la lui, acquiesça René, avec une bollée de cidre.

— J’ai pas de cidre, Monsieur, mais de la bonne boisson de cormes. Voyez cela semble du vin rouge.

Elle versait d’un pichet de grès bleu dans une tasse épaisse, un liquide clair :

— Goûtez-moi ça, Monsieur Semtel.

Elle décrochait encore d’une planche garnie de clous, une tasse suspendue par l’anse et l’offrait pleine à son hôte.

René accepta, il n’avait guère soif, mais il voulait être agréable à la brave femme. Les cormes séchées au four, puis infusées dans l’eau où on jetait quelques livres de cassonnade pour une barrique de boisson offrait un liquide piquant agréable et tonique.

L’aubergiste avait taillé dans le pain de six livres une épaisse tranche sur laquelle posément, elle étalait une mince couche de beurre salé. Le pauvre homme suivait tous ses gestes avec un grand intérêt, la langue au bord des lèvres. Et quand elle lui tendit la tartine, il y mordit avidement.