Page:Va toujours.djvu/6

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pendant la Révolution, on amenait la « Chaîne » des condamnés à mort : hommes, femmes, enfants, prêtres et laïques de toutes conditions, attachés en rangs, pour être fusillés au bord d’une fosse. Ils y tombaient morts ou blessés aussitôt recouverts de la terre où pousse maintenant des fleurs et des arbustes. Entre ces tombes, on a construit une chapelle, lieu de pèlerinage offert à la piété des Angevins fidèles qui, presque tous, ont parmi les Martyrs de ce Champ, des membres de leurs familles.

René Semtel y entrait en passant pour saluer les tertres gazonnés marqués d’une croix, lorsqu’il entendit un appel vibrant :

Au secours !

D’un bond, il fut sur la route. A quelques pas, un chemineau à peine vêtu de loques, quêtait insolemment deux dames en châles et capotes enrubannées. L’une sortait d’une bourse de soie longue et plate, une minime pièce de monnaie, que l’homme rejetait avec dédain.

— Un liard ! Et d’un geste brusque, il lui arrachait la chaîne d’or et la montre qu’elle avait au cou.

René Semtel envoya d’une bourrade le voleur au fossé, ramassa les bijoux, les tendit aux promeneuses épouvantées :

— Ne craignez rien, Mesdames, rentrez chez vous, je vais mener ce vagabond au poste.

Elles balbutiaient :

— Merci, tout en se rajustant, mais elles étaient tremblantes, ne pouvaient marcher vite. René Semtel à présent tirait l’homme des ronces où il était empêtré, ses pauvres loques restaient aux épines. Il grognait des imprécations :

— Tais-toi, misérable ou je cogne, fit le défenseur des faibles en levant son bâton. Allons, file devant, je te suis.

— Je ne peux pas marcher, j’ai perdu un soulier.

René regarda le pauvre être. Il avait au pied une chaussure dont le bout déchiré laissait passer ses doigts, l’autre était nu. Son pantalon de toile, sa blouse pareille montraient sa peau à travers des accrocs sans nombre. Bien qu’il ne fît pas très froid, il grelottait trempé, car le fossé était plein d’eau.

Semtel n’hésita pas. Il quitta son pardessus :

— Ote ta blouse, gredin, enveloppe ton pied dedans, mets ce vêtement sur ton dos et trotte.

Aussitôt l’homme obéit, le paletot lui tombait jusqu’à la cheville et sa maigre carcasse flottait dans les plis. Mais il le serra contre lui :

— On est bien là-dessous, seulement... je crève de faim.

— Va toujours, je te donnerai à manger en ville. Silencieux, tête basse, le malheureux se traînait, il balbutia :