Page:Vallès - L’Insurgé.djvu/120

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des bouquins empruntés à ses voisins de travée ; il a réfléchi, discuté, conclu. Son grand front ridé et dégarni raconte ses méditations ; ce vendeur d’éventails ou d’abat-jour — suivant la saison — a la face d’un philosophe de combat. S’il avait un habit noir sur le dos, on s’arrêterait devant ce haut vieillard et l’on saluerait sa tête grave.

— Qu’enseigne-t-il ? demanderaient les gens de la Sorbonne ou de la Normale.

Ce qu’il enseigne ? Sa chaire est ambulante comme sa vie ; elle est faite de la table sur laquelle il s’accoude, dans un cabaret pauvre, pour prêcher la révolte aux jeunes, ou d’un tonneau enlevé à la barricade et mis debout, pour qu’il y monte et harangue de là les insurgés.


Pas mal de ceux que je vois en vêtements misérables, beaucoup de ces crève-la-faim ont lu Proudhon et pesé Louis Blanc.

Chose terrible ! au bout de leurs calculs, à l’extrémité de leurs théories, c’est toujours une sentinelle d’émeute qui se tient debout !

— Il faut encore du sang, voyez-vous !

Et pourquoi ?

Pourquoi ces hommes qui vivent de rien, qui ont besoin de si peu, pourquoi ces espèces de vieux saints à la longue barbe et aux yeux doux, qui aiment les petits enfants et les grandes idées, imitent-ils les prophètes d’Israël, et croient-ils à