Page:Vallès - L’Insurgé.djvu/126

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œuvres de Proudhon. Il a fallu qu’on me prêtât des volumes dépareillés, que je lisais la nuit.

Heureusement, la Bibliothèque était là ; et j’ai, de temps en temps, fourré mon nez et plongé mon cœur dans la source. Mais j’ai dû boire au galop et en m’étranglant, parce que j’avais autre chose à faire, rue Richelieu, qu’à étudier la justice sociale.

J’avais à arracher, du ventre des bouquins, le germe des articles qui me faisaient vivre, et que le chef du dictionnaire me refusait quand ils avaient odeur de philosophie belliqueuse ou plébéienne. Or, cela arrivait parfois, lorsque j’avais avalé une gorgée de Proudhon — il en roulait des gouttes toutes rouges sur mon papier.


Je ne sais donc que la moitié de ce qu’il faudrait savoir, et encore ! Et je me trouve exposé à la chute grotesque, ignorant qui veut heurter de front le vieux monde, apprenti qui va se dresser contre un maître, conscrit qui ose engager à fond le drapeau !

C’est à lâcher pied, à se laisser rouler du haut en bas de l’escalier !… comme les filles enceintes qui ne veulent pas que l’on connaisse leur faiblesse.

J’en ai eu la tentation, au risque de m’estropier ou de me défigurer, car je serai bien autrement meurtri, si je mérite les huées de l’auditoire ! Être blessé ne serait rien ; être bafoué serait la ruine de toute une