Page:Vallès - L’Insurgé.djvu/381

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Mais le mari connaît un autre poste de blessés, pas trop loin.

On s’y rend.

— Voulez-vous de nous ?…

— Oui !


C’est répondu tout net, et cavalièrement, par une cantinière en grand uniforme — superbe créature de vingt-cinq ans, le buste riche et la taille fine dans sa cuirasse de drap bleu. Elle ne cane pas, la gaillarde !

— Voyez, j’ai là quinze entamés. Vous passerez pour le médecin ; votre ami pour le carabin.

Et elle nous attache aux reins la serpillière de clinique.

On se refait. Elle bat des œufs, trousse l’omelette, nous verse du vin de convalescent. On oublie le danger au dessert… on a la peau chaude et les prunelles vives !


Mais, de la chambre des amputés, un soupir arrive qui nous gonfle le cœur.

— Ah ! venez me parler avant que je meure !

Nous nous levons de table… il est trop tard !


Près de ce cadavre encore tiède, dans cette pièce sombre — les lucarnes sont matelassées — des pensées tristes nous reprennent. Nous restons muets, essayant de regarder par une fente sur le trottoir.