Page:Vallès - L’Insurgé.djvu/55

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cafés du boulevard. Ces vingt-quatre heures-là suffisent, si je suis vraiment bien bâti et bien trempé. Je n’ai plus la tête dans un sac, le cou dans un étau.


Allons, la journée a été bonne ; et ma salive a nettoyé la crasse des dernières années, comme le sang de Poupart avait lavé la crotte de notre jeunesse !

Je pouvais ne jamais saisir cette occasion. Elle m’échappait, en tout cas, si j’étais resté de l’autre côté de l’eau, si seulement je n’avais pas fréquenté l’estaminet où vont quelques plumitifs ambitieux.

C’est parce que je suis venu manger à cette table d’hôte, parce que je me suis grisé quelquefois et qu’étant gris j’ai eu de l’audace et de l’entrain, c’est parce que je suis sorti de la vie de travail acharné et morne pour flâner avec ces flâneurs, que je suis parvenu enfin à trouer l’ombre et à déchirer le silence.


Il fallait avoir un louis à casser de temps en temps !… Je l’avais le jour où je touchais mes appointements.

Combien je te bénis, petite place de 1,500 francs qui m’as permis d’aller là dépenser dix francs, les premiers du mois, trois francs les autres jours, qui m’as donné des airs de régulier et m’as valu, pour ce motif, des leçons à cent sous l’heure — les mêmes que j’avais fait payer cinquante centimes pendant si longtemps !