Page:Variétés Tome I.djvu/346

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parler sans dire mot ; et pour ce faire, vous employerez les yeux de quelque vieille matrone qui aura fait son cours en la phylosophie cyprienne, devant laquelle vous cheminerez, pour estre asseurées si votre allure est trop prompte, trop lente, trop affectée, trop niaise ou trop grave, afin de la former selon votre taille, votre air et votre naturel, pour ce qu’il faut laisser tousjours quelque chose de sa nature, qui veut avoir bonne grace.

Plus, pour votre dernier stile, pour voir ce que nous avons specifié vous estre convenable, vous aurez recours à un miroir pour y puiser vos secrets, et apprendrez par iceluy à regarder si votre visage est trop gay, trop triste, trop doux ou trop soucieux, et y reformerez et adjoutterez ce que vous y trouverez necessaire. Par ce moyen, vous instruirez vos yeux à donner des regards doux, et vos bouches à former en un instant des petits souris pour les accompagner, et apprendre à jeter de rudes œillades, et quelquefois de douces à ceux qu’il vous plaira ; et suivant ces instructions, nous sommes asseurées, chères compatriotes, que jamais l’ambre n’attirera tant à soy que vos feintises amoureuses attireront à vous autres ces pauvres malheureux errans. Voilà donc ce que pour le present, à ce nouvel an, nous vous pouvons envoyer, que nous vous prions de recevoir d’aussy bon cœur que nous sommes à tout jamais vos chères compatriotes et humbles servantes.

De Rouen, aux fauxbours de Soteville, fripant la crème, ce premier jour de l’an mil six cens dix huict.