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Page:Varlet - La Grande Panne, 1930.djvu/105

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dit : « Résistance inutile. Prenez garde… ». Et en effet, il a trouvé le moyen de me briser par cette fausse interview. Par elle, la décision m’est retirée : je suis mise hors de jeu… Pis même, depuis que je l’ai lue, il me semble que je ne compte plus, que ma destinée se joue en dehors de moi. La vraie Aurore Lescure vit de son côté, dans les journaux et les conversations de tous les humains de la planète ; c’est elle qu’on interviewe, qu’on photographie. Je l’envie presque ; elle, au moins, n’a pas rapporté sur terre de météorites ! Mais elle m’a volé ma personnalité. Je ne suis plus qu’un mythe, une forme vaine, assise à cette table de café… un mensonge qui s’apprête à mentir, Je me méprise.

Son ton me faisait mal. Encore qu’elle s’efforçât de rire, je la sentais ulcérée, presque démoralisée.

— Amie, si vous mentez, c’est par dévouement, pour sauver votre père, Vous êtes pour moi la plus noble des femmes… et la seule réalité qui importe.

Elle se redressa un peu ; mais, sans paraître m’avoir entendue, regarda autour d’elle.

— C’est moi, pourtant, qui suis l’origine de ce trouble calamiteux ; et ce qui prouve bien que je suis un mythe, c’est que je n’arrive pas à m’en croire réellement responsable.

Le café se vidait. Malgré tous les efforts des électriciens et du personnel, l’envahissement du lichen gagnait en vitesse, et une moitié des luminaires, empaquetés de rouge, ne versaient plus qu’une clarté infernale. Las de