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Page:Varlet - La Grande Panne, 1930.djvu/14

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s’agissait ; et pourtant mon regard fut happé, mon attention mise au cran d’arrêt. L’image en noir et blanc était pour moi une apparition surnaturelle, une révélation bouleversante. Cette mince jeune fille en combinaison d’aviatrice, le visage ovalisé par le serre-tête d’étoffe rude, ce visage réduit aux traits essentiels, je le reconnaissais. Ce sourire un rien mélancolique et douloureux, cette bouche bien fendue, aux lèvres fermes, aux dents magnifiques, ces yeux limpides d’enfant, mais si profonds, c’était la synthèse même de mon type idéal de la beauté. Je l’avais déjà vue dans mes rêves. Ou dans une vie antérieure, qui sait ?

J’avais beau me fouailler d’ironie : dans quelle vie antérieure, nigaud ! Cette jeune étrangère, séparée de toi par cinq ou six mille kilomètres, cette pionnière d’un sport futuriste, debout à côté de son wagon-fusée, de cet obus de métal brillant, la main sur le verrou du hublot-porte qui va se refermer sur elle quand elle aura fini d’adresser au tourneur de caméra son sourire forcé, de convention…

Lorsque son image disparut de l’écran, je ressentis un vide étrange, un découragement intime, un esseulement démesuré… Et je quittai la salle, refusant de voir un autre film, emportant l’image merveilleuse.

Et, tout en me raillant de cette hantise, de cette possession, plus forte et plus tenace à chaque fois, j’étais retourné la voir, toujours plus intimement convaincu de