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Page:Varlet - La Grande Panne, 1930.djvu/159

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Hideuse impression, de sentir foncer sous soi ces branchages ! d’être enseveli dans une masse grouillante de tentacules secs et chauds, qui cèdent sous les mains, se dérobent sous les pieds, me font désespérer de pouvoir me relever ! Et, sur le sentier, les fuyards, qui ont pris la panique et qui hurlent d’épouvante !

— Aurette ! mon Aurette !

Son silence m’effraie. Elle est tombée avec un petit gémissement, et reste étendue, abandonnée. À genoux, penché sur elle, je palpe tendrement son visage. Elle exhale, dans un souffle :

— C’est fini… Je vais m’évanouir… Laisse-moi ; sauve-toi, bien-aimé !…

L’aveu m’emplit d’une onde triomphale et désespérée. Elle m’aime ! enfin !… Et nous sommes perdus !

Ces quelques secondes d’immobilité ont suffi au lichen pour nous envahir de sa poussée inexorable. Comme ceux d’une pieuvre douée de volonté intelligente, les tentacules secs et chauds ont multiplié leur garrottement sur le corps étendu. À l’aveuglette, j’en arrache par poignées, j’en casse, j’essaie de la dégager. Mais ils renaissent à mesure, il s’en allonge d’autres. Moi-même, je suis saisi, envahi, enchevêtré dans l’étreinte multiple et dégoûtante de ces membres grêles, secs et chauds…

C’est fini. C’est la mort. Et, dans un élan d’extase désespérée, sur les lèvres défaillantes de ma bien-aimée je dépose ce premier baiser qui sera aussi le dernier…